Sarkozy : le candidat des amnésiques ?
Ayant critiqué avec toute l’éloquence qui lui est propre les quinze anaphores de François Hollande qui ont marqué sa course aux présidentielles, Nicolas Sarkozy semble avoir définitivement confirmé son retour en politique.
Enfin … la tournure « retour en politique » représente presque un abus de langage comme l’a déjà si bien relevé Jacques Sapir dans son récent article Sarkozy 2.0, remarquant au passage que l’ancien Président ne l’avait jamais quitté. S’il est vrai que la France est aujourd’hui plus malade que jamais, il est à se demander, de un, si l’ex-leader, quoi qu’on en dise pro-américain, pourrait se rattraper en jouant un rôle cette fois salutaire et si, de deux, sa campagne sera tolérée par des socialistes en plein déclin ?
Effectivement sorti de l’affaire Karachi, blanchi dans Bettencourt, quasi-innocenté par rapport au dossier libyen, Sarkozy n’est pas prêt à s’endormir sur ses lauriers fraîchement cueillis. La Justice l’a certes acquitté de la plupart des délits qui lui avaient été attribués mais qu’en est-il des Français ? Selon les derniers sondages, 65% d’entre eux seraient opposés à son retour en politique ce qui, il est vrai, ne constitue qu’une estimation provisoire les « exploits » accumulés du PS pouvant changer la donne vers 2017. Néanmoins, si l’on reste lucide, difficile de ne pas s’apercevoir que les dérapages gravissimes de l’équipe hollandesque ne découlent que des réformes engagées par son prédécesseur, à savoir, de la réintégration de la France, en 2007, au commandement intégré de l’OTAN ainsi que, d’une façon plus générale, d’un loyalisme suiviste à l’égard de Washington dont l’une des conséquences les plus dramatiques furent et restent les coupes infligées au budget de la Défense. Serait-on prêt à oublier les désastres ultérieurs de l’intervention libyenne dont tant de populations, aussi bien africaines que moyen-orientales, subissent encore et encore les répercussions sanglantes ? Lybie, Mali, Nigeria, Syrie, etc. pourrions-nous, au bout de quelques années seulement, faire abstraction de leurs souffrances ?
La question à poser ne se résume donc pas à savoir si oui ou non les Français sont amnésiques – le choix entre Hollande et Sarkozy équivalant en ce cas à un choix entre deux maux dont il conviendrait de choisir le moindre – mais de savoir si Sarkozy serait prêt à réformer son programme en longueur et en largeur. Il semblerait – et nous tenons pour l’heure à conserver ce conditionnel – que le futur candidat à la présidentiel entende rétablir la démocratie directe, si chère au cœur du Général et actuellement de mise en Suisse. S’il en est véritablement ainsi, il n’est pas exclu qu’un certain nombre de problèmes en effet cruciaux puissent être soumis au peuple et résolus conformément à la volonté exprimée par la majorité. Je pense au sort de l’euro, au statut de la France au sein de l’UE, à la politique migratoire déployée et ainsi de suite. Supposant que la volonté des Français puisse porter atteinte aux intérêts étasuniens en Europe – ce qui est certain – ainsi qu’aux intérêts de certaines catégories de la population, il faudrait alors se demander si l’introduction du système de démocratie directe ne posera pas les fondements d’une implosion sociale des plus graves ? Certes, la démocratie directe est avant tout facteur d’unité. Mais qu’en est-il des oligarchies choyées par Bruxelles qui pourraient galvaniser, mettons, les populations très peu intégrées des banlieues ? Qu’en sera-t-il de la réaction de ces mêmes oligarchies si les Français votent une sortie de la zone euro ?
On le voit donc bien : le salut passe par les urnes, certes, mais il pourrait dépasser leur cadre. Ce constat vaut bien sûr si les intentions de Sarkozy sont sincères (lire sincèrement pragmatiques donc appelées à être réalisées !)
Un autre type de raisonnement pourrait refroidir notre détermination à y croire. Comment se fait-il que l’ex-Président, à la fois poursuivi pour plusieurs délits dans une ambiance de « chasse aux sorcières », soit soudainement toléré en tant que futur candidat ? Une raisons sous-jacente pourrait l’expliquer : il s’agirait de contrer l’avancée du FN et du RBM qui commencent à donner des épisodes d’urticaire aux élites actuellement au pouvoir. Sarkozy a plus de chances face à MLP que n’en aurait Hollande ou un socialiste du même format. Dans cette optique, Sarkozy serait plus tolérable que son adversaire frontiste. Cela signifie qu’une fois au pouvoir, il reviendrait aux bonnes vieilles habitudes qui ont marqué son mandat en accord avec la clique oligarchique qui tire les ficelles.
Ce qui aujourd’hui, au-delà de toutes ces questions, est certain, c’est que nous restons dans le flou. Combien de temps encore sera-t-il entretenu ?
- Source : Tatiana Filiatcheva