Révélations de Soros : du symptôme au diagnostic
M. Soros a fait preuve d’une franchise sans précédent lors d’une interview accordée à Fareed Zakaria (émission diffusée par la chaîne CNN) où il annonce avoir crée, sur le territoire ukrainien, une fondation dont le but était de préparer le coup d’état de février et de contribuer, ultérieurement à celui-ci, à la formation d’une armée satisfaisant les critères psychologiques (lire idéologiques) fixés par le Département d’Etat des USA. C’est donc sans équivoque que le milliardaire américain reconnait avoir financé l’EuroMaïdan qui a conduit à des effusions de sang faussement attribuées au Berkout. Voici un extrait de l’interview en question.
Fareed Zakaria. « Commençons par l’Ukraine. Il est bien connu que vous aviez financé, durant la période des révolutions de 1989, des activités dissidentes et de groupes civiles en Europe de l’Est, en Pologne et en Tchéquie. Peut-on affirmer que vous êtes en train de faire la même chose en Ukraine ?
Georges Soros. J’ai crée une fondation en Ukraine avant que cette dernière ne devienne indépendante de la Russie. Cette fondation n’a pas suspendu son activité depuis lors et a joué un rôle important dans les évènements auxquels nous avons récemment assisté ».
Toute considération éthique mise à l’écart, notons au passage que M. Soros sert les intérêts de Washington et que c’est son droit. Notons également ce petit secret de Polichinelle qui est qu’il y a un lien direct entre les activités de ce monsieur et celles de la Fondation nationale pour la démocratie, supplétif de la CIA, de l’International Republican Institute ou de la Freedom House. Affublées des plus nobles motifs qui se résument toutes au nouvel épouvantail du XXIème siècle, « la démocratie » genre « pax americana », ces organisations ont promu et sponsorisé les révolutions de couleur qui ont secoué les anciennes républiques soviétiques. Il aurait dû en être pareil de la Russie, par exemple après les manifs de 2011 (premier grand meeting place Sakharov) si, de un, la situation économique du pays avait été moins stable qu’elle ne l’est, de deux, si le renseignement avait travaillé moins efficacement qu’il ne l’avait fait et en 2011, et en avril de l’année en cours, lors de la « Marche pour la Vérité » dont les participants, pour la plupart solidaires d’une Ukraine qu’ils ne connaissent pas, ont pensé que Poutine démissionnerait sur le champ et que l’ensemble de la population adhérerait à LEUR « vérité » à eux.
Le problème, c’est que la vérité des Nosik, des Benediktov et des Zygar est assez peu compatible avec la réalité des jours noirs qu’a vécu le Maïdan une fois l’euphorie des premières heures passée, assez peu compatible avec les épurations ethniques que vivent, en ce moment même, Donetsk et Lougansk, enfin, assez peu compatibles avec les énormités de la propagande occidentale qui en fait nourrit bien davantage les jérémiades de l’opposition russe qu’elle ne s’en inspire.
Et en effet, que voyons-nous aujourd’hui ? Soros admet des faits impensables de l’autre côté du miroir si, imaginons-le, un milliardaire russe avait sponsorisé un coup d’Etat en France pour ensuite en faire publiquement l’aveu. Mais restons terre-à-terre. Il est vrai que les Ukrainiens ne portaient pas dans leur cœur Ianoukovitch, personne ne dit le contraire ! Mais alors qu’est-ce que M. Soros, fut-il mille fois philanthrope, vient faire dans toute cette histoire ? N’aurait-il pas été plus simple de laisser Ianoukovitch terminer son mandat qui de toute façon expirait en 2015 et de voter ensuite Porochenko ?
Bien que fatal à l’unité de l’Ukraine, le Maïdan a cela de bon pour la Russie que ses conséquences ont intimidé jusqu’aux plus résolus. Des anciens collègues de la fac de philo qui pendant très longtemps ont cru qu’il était aussi « chic » de clamer des slogans pseudo-politiques que de citer les prolégomènes kantiens ont tout à coup arrêté de fréquenter les meetings anti-Poutine qu’ils se targuaient de fréquenter auparavant. Leurs publications sur facebook sont tout sauf politiques. La toute récente condamnation de Navalny a certes rassemblé un modeste groupe d’oppositionnaires, sans plus. Sakharov s’est essoufflé en même temps que le Maïdan. La mode anti-Poutine est passée comme par magie. Se trouvera-t-il un nouveau noyau dur qui arrivera à galvaniser une certaine partie de l’« intelligentsia » en jouant la carte des sanctions et de l’isolement ? Il est difficile d’y répondre pour l’heure. Même si ce n’est pas exclu, ce n’est pour le moment pas le cas.
Entre temps, la presse occidentale multiplie ses spéculations en fondant la plupart de ses analyses soit sur des erreurs factuelles, soit sur de fausses interprétations. En voici quelques exemples assez typique : le Boeing 777 a été abattu par les Insurgés, les Insurgés sont des terroristes que la majeure partie des habitants du Sud-Est ne soutient pas, la Russie arme systématiquement les forces insurrectionnelles, Poutine mène la même politique qu’Hitler, etc. On ne demande pas de preuves. Puisque Washington le dit, puisque le Parlement européen le répète, c’est ainsi. Et si vous dites le contraire, vous êtes à la solde du FSB (encore merci quand on ne dit pas KGB mes collègues français étant parfois sujets à des accès d’anachronisme). Il suffit de voir le très récent débat qui a opposé Xavier Moreau (cf. Realpolitik) à Mme Pascale Joannin, directeur général de la Fondation Robert Schuman, un chef-d’œuvre.
La Russie continue sa politique que je dirais stabilisatrice en déjouant avec brio les pièges de la Maison-Blanche. D’un côté, aux yeux de certains patriotes plus enclins aux décisions émotionnelles, Poutine commet une lourde erreur en se distanciant de la guerre civile dans le sud-est ukrainien. D’un autre côté, le calme olympien du Kremlin face aux sanctions kafkaïennes de l’UE qui ne font que renforcer les liens de la Russie avec les autres membres du groupe des BRICS contribue à miner l’autorité des USA.
En pratique, le résultat ne s’est pas fait attendre. L’ONU a exprimé ses doutes quant à l’implication de la Russie dans le conflit ukrainien. Inquiète des sanctions infligées à cette dernière par ses collègues européens, Angela Merkel a subitement abandonné leur rhétorique lapidaire. Certains experts occidentaux ont même tendance à croire que cette distanciation allemande de la politique américaine vis-à-vis des USA a commencé un peu avant le début des évènements en Ukraine, ce qui expliquerait, selon eux, l’histoire des écoutes de la chancelière par la NSA. Quoi qu’il en soit, le suivisme suicidaire des pays européens dans l’affaire ukrainienne n’a fait que renforcer ce degré de distanciation. S’y ajoutent les révélations de M. Soros qui illustrent on ne peut mieux les allers et venues de l’establishment américain place Maïdan. Tout comme l’OTAN, le mainstream médiatique n’a donc plus le casus belli qu’il lui faut tant pour boucler la boucle aux frontières de la Russie. En somme, si M. Soros a parlé, c’est que les masques sont définitivement tombés et que Kiev est sur le point d’être abandonné par Washington.
- Source : Françoise Compoint