Finance : les ménages plus avisés que les professionnels
The Economist a consacré un papier passionnant à une étude de la Federal Reserve sur la pertinence du jugement des ménages et des professionnels de la finance sur l'évolution de l'activité. D'où il ressort que les ménages sont plus avisés, une forme d'hommage indirect à la démocratie.
Les moutons, ce sont les traders
The Economist commence par rappeller que pour les professionnels de la finance, l’opinion des ménages ne représente que du « bruit ». Parce que leur besoin ou disponibilité d’argent ne coincide pas forcément avec le bon moment « ils échangeraient trop souvent (…) et ils sont enclin à des biais comportementaux comme un excès d’optimisme et une allergie aux pertes », si on en croit Nate Silver. Malheureusement, la recherche menée par la Fed démontre au contraire que l’opinion des profanes a beaucoup plus de sens que celle des professionnels. Elle montre qu’une forte augmentation de la dispersion de l’opinion des ménages précède généralement toutes les récessions, alors que l’opinion des professionnels reste également dispersée et ne se disperse que dans la seconde moitié des récessions.
The Economist cite un financier pour qui « il n’y a aucun sens pour moi à prédire une récession. Si j’ai raison, personne ne me remerciera et si j’ai tort, je serai viré ». En clair, « les amateurs sont meilleurs pour prédire les récessions que les experts ». L’étude souligne que les ménages échangent davantage quand la divergence des opinions augmente, au contraire des professionnels, et conclut : « il est probable que les ménages ont collectivement des informations que les analystes professionnels n’ont pas, et contribuent donc à la formation des prix et à l’efficacité des marchés ». Pour The Economist, « c’est peut-être parce que les enquêtes interrogent des personnes de milieux et d’origine différents, quand les analystes en investissement sont un petit groupe qui pourrait souffrir d’un esprit moutonnier »
.Un bel éloge de la démocratie
Ce faisant, il est difficile de ne pas y voir un éloge, conscient ou pas, de la démocratie. En effet, étant donné mon milieu, combient de fois ai-je entendu que les Français n’avaient pas le savoir nécessaire pour trancher telle ou telle question. C’est notamment ce qui fut entendu lors du référendum sur le traité de Maastricht ou le TCE. Cependant, cet exempe démontre que finalement la sagesse est sans doute d’autant plus grande que le groupe est important. Même les experts les plus pointus de la finance ont collectivement tort par rapport aux ménages qualifiés d’ignorants par certains ! Finalement, plus le groupe est petit et moins il est divers, moins sa pensée est claire du fait de l’esprit moutonnier, si bien décrit par Keynes, qui parlait des esprits animaux qui ont toujours animé les marchés.
C’est l’exact inverse de ce que construisent les oligarques politiques du PS et de l’UMP, qui ne cessent de retirer du cadre démocratique des pans de plus en plus importants de la main du peuple, qu’ils jugent trop souvent mal avisé. C’est la logique qui a mené à l’indépendance des banques centrales. Mais comme sur les marchés, l’opinion des experts peut être bien moins avisée que celle des profanes. C’est ce que l’on a vu avant la crise financière de 2008, où les régulateurs ont laissé faire n’importe quoi aux banques, avec une croissance totalement inconsidérée de la masse monétaire dans la zone euro, dépassant parfois les 10% par an alors que l’activité réelle ne progressait que de 1%...
La démocratie ne répond pas seulement un idéal d’égalité, qui place le jugement de chaque membre d’une communauté sur le même plan, qu’il soit riche ou pauvre, sachant ou pas. C’est sans doute aussi le moyen le plus efficace d’organiser une société, les oligarques étant plus promptes à l’erreur que le peuple.
- Source : Laurent Pinsolle