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Obama ressasse une odysée en Irak

Auteur : M. K. Bhadrakumar | Editeur : Walt | Mardi, 17 Juin 2014 - 20h28

Au terme d'une semaine où sa politique étrangère au Moyen-Orient a enduré de féroces critiques, le président nord-américain, Barack Obama, a rompu le silence vendredi soir. Il a prononcé depuis la Maison Blanche à Washington une déclaration officielle au sujet des développements dramatiques qui se sont déroulés au nord de l'Irak et qui ont vu Mossoul et d'autres localités tomber, en début de semaine dernière, entre les mains de l'État Islamique en Syrie et au Levant (EIIL).
La meilleure partie de son discours a été qu'Obama n'a pas répété son refrain habituel, « toutes les options sont sur la table », au regard de la situation de crise en Irak.

Une option est au moins écartée pour le moment - celle des « bottes sur le terrain ». Obama a été catégorique sur le fait qu'il n'enverrait pas de troupes de combat en Irak. Il a été clair en disant que ce n'est pas une guerre des États-Unis. D'un autre côté, il a également pris note de la nécessité de soutenir les forces armées irakiennes et a promis que les États-Unis avaient l'intention de porter assistance.

Cependant, ce morceau de clarté est une maigre consolation. De grandes ambiguïtés subsistent dans la déclaration d'Obama, lesquelles placent un grand point d'interrogation sur les intentions américaines.

Tout d'abord, Obama a fait allusion à des « actions sélectives par notre armée », qui marcherait main dans la main avec un « effort international avec pour défi de reconstruire » l'Irak. En somme, un engagement militaire à long terme des États-Unis pourrait être dans les tuyaux.

Quand cette intervention commencera-t-elle ? Obama a clarifié : « Cela prendra plusieurs jours », après nous être assurés que « que nous avons une bonne vision de la situation là-bas [.] [et] nous avons rassemblé tous les renseignements qui sont nécessaires » afin que ces opérations soient « ciblées, qu'elles soient précises et qu'elles aient un effet ».

Le gouvernement américain a entamé une série de consultations avec d'autres pays et, dès cette semaine, Obama espère avoir « une meilleure idée » quant à la façon dont ils pourraient « soutenir un effort (international) ». Il a souligné que « c'est un problème régional et que ce sera un problème de long terme ». Autrement dit, un principe cardinal de la « Doctrine » Obama est que les États-Unis n'iront pas jouer les gendarmes solitaires ; une coalition des bonnes volontés est nécessaire.

Le printemps irakien

Obama a pris pour cible l'EIIL en disant qu'il est l'unique protagoniste menaçant l'Irak et « au bout du compte », aussi, les intérêts américains. Mais il devient difficile de croire qu'avec toutes les données des services de renseignements à sa disposition, Obama n'a pas conscience de ce qui est désormais pratiquement universellement compris, à savoir qu'il y a de nombreux poissons dans la marre de Mossoul et que l'EIIL n'est que l'un d'entre eux.

Le point essentiel, c'est que les factions baasistes et les officiers militaires qui avaient servi autrefois sous Saddam Hussein, mécontents des groupes sectaires tribaux, aient convergé pendant quelques temps sur le plan politique avec d'autres, et qu'ils ont saisi l'aide de groupes takfiris comme l'EIIL et Ansar al-Sunna qui ont des combattants bien entraînés.

Des témoins oculaires à Mossoul parlent de « combattants étrangers » qui auraient mené l'attaque initiale et ont été rapidement remplacés par des milices irakiennes. Si seulement Obama parcourait un peu sérieusement la presse écrite, il aurait une meilleur image de ce qu'il s'est réellement passé. Le Premier ministre Nouri al-Maliki n'était pas vraiment à côté de la plaque en disant qu'il y avait un « mécontentement ».

L'ancien vice-président irakien Tariq al-Hashimi, qui a vécu en exil en Turquie et au Qatar, a même acclamé la chute de Mossoul en la comparant à un « printemps irakien ». Il est assez évident que le coup d'État à Mossoul a également de puissants soutiens étrangers, et il se trouve que ceux-ci pourraient être des pays qui ont aussi financé, aidé et ont été complices du conflit syrien.

Ce serait le summum de l'ironie qu'Obama invite ces mêmes États régionaux à rejoindre « l'effort international avec pour défi » de stabiliser l'Irak et d'essayer de reconstruire ce pays.

Pourtant, Obama n'a que l'EIIL en ligne de mire. C'est la partie la plus intrigante de sa déclaration jusqu'ici, alors qu'une fois qu'une intervention militaire américaine aura débuté en Irak sous une forme ou autre dans les jours à venir, l'EIIL pourrait devenir le parfait alibi pour étendre tôt ou tard cette opération à la Syrie.

Une opération militaire américaine dans le foyer sunnite au nord de l'Irak signifierait certainement l'interruption des liens de communication entre l'Iran et la Syrie.

Il n'est pas anodin qu'Obama ait dit dans sa déclaration que l'EIIL « pourrait au bout du compte poser aussi une menace aux intérêts américains », qu'il y a eu des débordements depuis la Syrie et que l'EIIL est une « partie de la raison » pour laquelle les Etats-Unis restent engagés avec l'opposition syrienne.

Deuxièmement, Obama a rabâché à plusieurs reprises l'échec des dirigeants à Bagdad, en attirant l'attention sur la montée du sectarisme en Irak comme facteur sous-jacent de l'instabilité. Sans aucun doute, il a parfaitement raison de souligner qu'en « l'absence de conciliation entre les diverses factions à l'intérieur de l'Irak, toute action militaire des États-Unis, d'un pays extérieur, ne réglera pas ces problèmes sur le long terme et n'apportera pas la sorte de stabilité dont nous avons besoin ».

Ceci dit, ce sont les États-Unis, et eux seuls, qui ont créé le monstre à tête d'hydre du sectarisme en Irak - d'une façon à s'y méprendre dont l'Angleterre impériale a encouragé les animosités entre Hindous et Musulmans dans le sous-continent indien, dans une stratégie du diviser pour régner - comme l'antithèse du pluralisme et de la diversité de la société irakienne, dans l'intention de déraciner, avec les terribles forces d'occupation, le nationalisme irakien inflexible de l'époque de Saddam.

Bien sûr, il n'y aurait rien de tel si un moyen pouvait être trouvé pour une véritable réconciliation en Irak, en libérant ce pays des chaînes de sa présente constitution qui repose sur ses fondations confessionnelles actuelles (un autre héritage de l'occupation américaine) et en déclarant que ce pays est un État vraiment laïque.

Mais, hélas, la probabilité est faible que cela se produise, puisque le processus politique sectaire est aujourd'hui si avancé et la polarisation sectaire et ethnique si exacerbée - non seulement sur les lignes Sunnites/Chiites mais également en termes d'identité kurde, grâce à la politique américaine depuis la guerre d'Irak en 1991.

Les Irakiens pourraient très bien finir par trouver un certain degré d'équilibre politique dans leur politique confessionnelle - comme cela s'est produit au Liban - mais le danger aujourd'hui rôde ailleurs. La dure réalité est que le coup d'État à Mossoul ouvre grand la porte à une intervention extérieure - non seulement en termes de projection de pouvoir par les puissances régionales mais également d'ingérence des États-Unis, des puissances occidentales et même d'Israël.

Des intérêts permanents

Mossoul est un puzzle extrêmement complexe que l'Histoire a légué à cette région. Pour la Turquie, Mossoul est la porte d'entrée vers Diyarbakir, et sa perte signifie « entreprise non terminée » de la désintégration de l'Empire ottoman et complexification de la question kurde.

Que des douzaines de Turcs soient tenus en otage, dont parmi eux le consul général de Turquie, après le mouvement expéditif de la semaine dernière à Mossoul, n'est pas un accident.

Curieusement, prenant avantage de la chute de Mossoul qui est passée entre les mains de l'EIIL, les Peshmergas kurdes faisant allégeance à Massoud Barzani ont occupé Kirkouk (où se trouvent les grands champs pétrolifères du nord de l'Irak). Il est tout simplement hors de question que les Peshmergas acceptent de bonne grâce d'évacuer Kirkouk.

Il est tout aussi improbable que dans un avenir raisonnable, une force militaire irakienne supérieure soit capable de déloger les Peshmergas de Kirkouk, lesquelles doivent compter un bon quart de million de combattants aguerris.

En bref, le Kurdistan, la région d'Irak qui connaît la plus forte cohésion politique, vient juste de décrocher une prime fantastique qui promet d'en faire un pays très riche. Maintenant, on ne peut pas nier le fait que le Kurdistan [irakien] soit également une arène sanctuarisée d'opération ou d'activité pour de nombreuses puissances étrangères, à commencer par les États-Unis et la Turquie. C'est là où on entre dans la danse de la géopolitique.

Pour le dire simplement, Obama a consciemment esquivé les vraies questions qui ont surgi avec les événements de la semaine dernière en Irak. L'amère vérité est que l'Irak en tant que nation se désintègre inexorablement en des mini-États sectaires et ethniques.

Ce qui se déroule est la culmination de ce que Paul Bremer, le tueur à gages trié sur le volet par le Président George W. Bush (qui dirigeait l'Autorité Provisoire de la Coalition à Bagdad en 2003-2004), a perpétré sur le peuple irakien en développant par fourberie la constitution actuelle qu'il a délibérément mise en place, laquelle est basée sur un système politique représentatif des affiliations confessionnelles, dans l'idée d'étouffer le nationalisme irakien.

Le 28 juin 2004, Bremer disait dans son discours d'adieu, alors qu'il transférait officiellement la souveraineté limitée du pays au gouvernement irakien par intérim, « Un morceau de mon cœur restera toujours ici dans ce magnifique pays entre les deux fleuves ». Il s'exprimait au nom des États-Unis.

La démocratie irakienne dysfonctionnelle garantit pratiquement à coup sûr un retour des États-Unis dans ce pays. Il est certain qu'ils reviendront en Irak, dans les cinq ans après l'éviction de leurs forces d'occupation par le peuple irakien. Mais il y a les « inconnues notoires » [en référence aux known unknows de Donald Rumsfeld, à savoir « les choses que nous savons que nous ne connaissons pas » - NdT] dans la situation en évolution, qui expliquent les mises en garde dans la déclaration d'Obama.

Principalement, la chute de Mossoul devient une ligne de faille supplémentaire dans la rivalité entre les Saoudiens et les Iraniens. Et Obama avance avec précaution, étant donné le récent relâchement des liens entre les États-Unis et l'Arabie Saoudite, ainsi que l'étape actuelle délicate de l'engagement de Washington avec Téhéran sur la question nucléaire.

Une fois encore, il est impensable que la Turquie reste impassible devant une marée géopolitique où l'avenir de Mossoul - et la question kurde - est une nouvelle fois orchestré. Il y a un siècle, les Britanniques étaient les arbitres, alors que les Américains les ont peut-être remplacés aujourd'hui, mais les intérêts turcs restent constants.

On a pu lire dans la presse turque que lorsque le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a demandé à parler à Obama pour s'entretenir sur la situation en Irak, c'est le vice-président Joe Biden qui l'a rappelé.


- Source : M. K. Bhadrakumar

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