La jolie vie des parlementeurs
Depuis quelque temps le peuple doute de ses institutions, et surtout de ceux qui, à tous les niveaux de l'état, sont censés être à leur service, et non l'inverse.
L'abstention massive au parlement européen vient de tirer une fois de plus la sonnette d'alarme.
Un journaliste astucieux et curieux vient de réaliser un joli exploit en filmant, avec la complicité d'un élu du parlement européen, la vie de tous les jours au sein de cette « noble » institution, et son reportage est accablant.
On découvre que nos démocraties sont bien plus malades qu’on pouvait l’imaginer, puisque ces lieux de décision qui, dans une parfaite transparence, devraient êtres ouvert à tous, en temps que simples observateurs, sont tout au contraire plus fermés qu’une coquille d’huitre.
Notre journaliste a pourtant réussi à y pénétrer, avec la complicité d’un député européen, caméra au poing, questionnant au hasard un député qui venant tout juste d’arriver, vers 18h pour logiquement assister à une séance, ou travailler dans une commission, ne fait qu’un bref passage, consistant à marquer sa présence, toucher 300 euros, et repartir quelques minutes après pour vaquer à d’autres occupations, très éloignées de celle de son mandat au parlement européen.
On y découvre une étrange buvette ou l’on peut consommer à satiété sans débourser un seul centime, des passages moquettés que seuls les élus peuvent emprunter, leur permettant de se déplacer sans avoir besoin d’ouvrir ou de fermer des portes, des expositions de peinture proposées régulièrement, qui semblent plus être l’occasion de déguster de bons champagnes qu’à s’intéresser à un artiste, et tout le reste est à l’avenant.
Au cours de son investigation le journaliste aura à affronter les foudres de plusieurs députés, qui finalement excédés par ces questions auxquelles ils n’ont manifestement pas envie de répondre, finiront par s’en prendre physiquement au journaliste et à son caméraman.
En moins de 9 minutes ce reportage dévastateur permet de comprendre pourquoi nos concitoyens ont préféré aller à la pêche, le 25 mai 2014.
Pas de doutes, le parlement européen est un lieu ou il fait bon vivre. (Pour ceux qui ne l'ont pas vu, voir la vidéo ci-dessus "Scandale au Parelement Européen").
Quittons ce « paradis » pour la France, où le moins qu’on puisse dire c’est que nos élus ne sont plus exemplaires, puisqu’après la triste affaire Cahuzac, nous voila en présence de petits pains au chocolat qui risquent de couter très cher à Copé, à l’UMP, voire à l’ex-président de la République.
On pensait avoir atteint le fond, espérant que les affaires nauséabondes se mettraient quelques temps sur « pause », après le Rainbow Warrior, l’affaire Jupé, celle de Tapie, de Bettencourt, des frégates de Taiwan, de l’affaire Kadhafi, du financement de la campagne de Balladur …et maintenant place à Bygmalion.
Comme une furieuse envie de vomir.
On en viendrait à espérer qu’une loi ne permette plus à un élu condamné de se présenter à nouveau devant les électeurs…
Mais le plus scandaleux, n’est-ce pas la lenteur judiciaire qui permet à ceux qui sont montrés du doigt, de rester provisoirement à l’abri de toute punition, ou le fait que les condamnés se représentant devant leurs électeurs soient systématiquement réélus ?
Prenons l’affaire Bernard Tapie, devenue maintenant l’affaire Guéant…il met en place une commission d’arbitrage privée, composée de 3 hommes, dont un proche de Tapie, un proche du gouvernement, et un dernier sans avis définitif, alors qu’il aurait été plus logique de choisir un arbitrage de professionnels de la justice.
Sans surprises, la commission donne raison à Tapie, lui permettant de récupérer plus de 400 millions d’euros.
Pour l'instant, la justice suit son cours...
Le mardi 3 juin 2014, sur l’antenne de France Culture, 2 invités de marque analysaient la situation politique en France et au-delà dans l’émission de Caroline Broué : il s’agissait de Pierre Birnbaum, professeur de sociologie politique et de Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques.
Sur le thème « la fin du politique » le constat est précis, ciblé et sans détours : les français se sont détournés du « politique » écœurés par les trahisons, les mensonges, la corruption…
Se basant sur quelques sondages récents (fin décembre 2013 et janvier 2014 et révélateurs, indiquant que seulement 1% des français trouvent le politique enthousiasmant, que seulement 8% font confiance aux partis politiques, que 73% déclarent que les notions de gauche et de droite ne veulent plus rien dire, et que 70% ressentent un rejet, du dégout, et manifestent de la défiance par rapport aux politiques, Pierre Birnbaum constate « à la fois la fin de l’état qui tenait cette société, (…) et puis la naissance d’une politique technologique » évoquant un Etat délégitimé et une incroyable dépolitisation, …
Pour Loïc Blondiaux « les élites politiques sociales partagent une vision du monde avec un seul mantra, une seule idéologie celle de l’efficacité, validée par la science : ces élus se présentent comme de bons gestionnaires de l’économie, et en aucun cas, ils ne pensent que l’on pourrait gouverner autrement. L’autre caractéristique de cette idéologie, basée sur « une bonne gouvernance », c’est la peur du peuple, c’est l’idée que moins le peuple s’intéresse à la politique, et plus on pourra gouverner … » ajoutant « les partis politiques sont agonisants, moribonds, obscènes dans leur lutte pour un pouvoir en train de leur échapper, sans aucune vision de ce que peut être l’avenir de leur pays (…) il y a malgré tout un certain nombre d’initiatives sur internet d’un certain nombre d’acteurs, d’initiatives, à un niveau local, de gens qui essayent de refaire de la politique, en y mêlant à la fois un changement de mode de vie, un changement de l’économie, un retour a des formes de discours et de consensus dans une pratique collective de la politique ».
Malgré tout, il évoque un autre espoir, et s’exprimant sur les récentes élections européennes, il constate que si on s’est obnubilé prioritairement sur l’abstention, et le score du FN, on a largement ignoré le score du Syriza, en Grèce, ou celui de Podemos, (traduction : « nous pouvons ») en Espagne, issu du mouvement des indignés, qui font une percée remarquable et ont obtenu quelques sièges.
Pierre Birnbaum reprend le thème d’un éventuel retour d’une autre politique, citant l’exemple de Grenoble (ou de nouvelle donne qui en quelques semaines d’une courte campagne a tout de même fait 3% de voix) qui « symbolise un avenir possible » et il s’inquiète d’un autre sondage, plus inquiétant celui là, puisque 84% des français demandent le retour « d’un vrai chef …d’un chef pour remettre de l’ordre… ».
Il fait aussi un étonnant mea culpa au sujet de l’ENA : se demandant s’il n’a pas fait trop confiance en cette institution : il a toujours trouvé admirable le rôle des hauts fonctionnaires en France, quand ils avaient une éthique, et constate que « quelque chose est en train de se perdre,… » se désolant de « voir des hauts fonctionnaires toucher des enveloppes, voler des tableaux, provoquant une remise en question de l’ENA elle-même… »
Loïc Blondiaux conclut cette passionnante émission en appelant de ses vœux une authentique démocratie : « nous sommes sous une chape de plomb avec l’idée selon laquelle la politique est assimilable uniquement à la représentation, à la désignation par les citoyens de professionnels de la politique (…) cet évidement de la politique, cet affaiblissement de l’état, se fait avec une professionnalisation accrue du métier politique et une infantilisation des citoyens ».
Voilà qui a le mérite de la clarté.
Mais y a-t-il des solutions pour sortir de ce bourbier si peu citoyen ?
Certains proposent que l’on applique le modèle suédois, puisque les dépenses des politiques y sont regardées de très près, et que la presse a tout le loisir d’accéder aux dossiers des élus, sauf en cas de « secret d’état » qui menacerait la sécurité du pays.
Les ministres qui se font prendre le doigt dans le pot de confiture ne font pas de vieux os.
Tous les frais engagés par les élus sont remboursés uniquement sur la présentation de justificatifs.
Les ministres mangent à la cantine, et comme le martèle un fonctionnaire, « ils sont là pour servir, pas pour se servir », ils n’ont pas de voiture avec chauffeur, sont privés de logement de fonction, et n’importe quel quidam peut en cliquant sur internet connaitre les dépenses et la fortune de chaque élu, en toute transparence.
D’autres proposent, pour éliminer ceux qui entendent faire carrière en politique, de limiter le salaire des élus au Smic.
Florian Philippot, du FN, estime même que c’est une bonne idée, mais depuis qu’il a été élu, battant au passage Nadine Morano, qui doit la trouver amère, elle qui est si proche des idées de son parti, il semble moins déterminé.
Comme dit mon vieil ami africain : « à l’école, ils nous apprennent le passé simple, ils feraient mieux de nous apprendre le futur compliqué ».
- Source : Olivier Cabanel