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Le massacre du Haymarket (1886) et la vraie histoire du Premier Mai

Auteur : Normand BAILLARGEON | Editeur : Walt | Lundi, 05 Mai 2014 - 14h40

L’origine et la signification libertaires du premier mai sont désormais tombées dans l’oubli. Car le premier mai, c’est bien un événement majeur de l’histoire du mouvement ouvrier, mais plus particulièrement de l’anarchisme que nous commémorons – désormais – sans en connaître l’origine.

Remontons le temps.

Nous sommes en 1886, à Chicago. Dans cette ville, comme dans tout le pays, le mouvement ouvrier est particulièrement riche, vivant, actif. À Chicago, comme dans bien d’autres municipalités, les anarchistes sont solidement implantés. Des quotidiens libertaires paraissent même dans les différentes langues des communautés immigrées. Le plus célèbre des quotidiens anarchistes de Chicago, le Arbeiter-Zeitung, tire en 1886 à plus de 25 000 exemplaires. Cette année-là, le mouvement ouvrier combat pour la journée de huit heures. Les anarchistes y sont engagés, mais avec leur habituelle lucidité : la journée de huit heures pour aujourd’hui, certes, mais sans perdre de vue que le véritable objectif à atteindre est l’abolition du salariat. Le mot d’ordre de grève générale du premier mai 1886 est abondamment suivi, et tout particulièrement à Chicago. Ce jour-là, August Spies, un militant bien connu de la Ville des Vents, est un des derniers à prendre la parole devant l’imposante foule des manifestants. Au moment où ceux-ci se dispersent, la démonstration, jusque là calme et pacifique, tourne au drame : 200 policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y aura un mort et des dizaines de blessés. Spies file au Arbeiter-Zeitung et rédige un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière. Elle se tient le 4 mai, au Haymarket Square de Chicago.

Cette fois encore, tout se déroule d’abord dans le calme. Spies prend la parole, ainsi que deux autres anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden. Le maire de Chicago, Carter Harrison, assiste à la manifestation et, alors qu’elle s’achève, il est convaincu que rien ne va se passer. Il en avise donc le chef de police, l’inspecteur John Bonfield, et lui demande de renvoyer chez eux les policiers postés à proximité. Il est dix heures du soir. Il pleut abondamment. Fielden a terminé son discours, le dernier à l’ordre du jour. Les manifestants se dispersent, il n’en reste plus que quelques centaines dans le Haymarket Square. Soudain, 180 policiers surgissent et foncent vers la foule. Fielden proteste. Puis, venue d’on ne sait où, une bombe est lancée sur les policiers. Elle fait un mort et des dizaines de blessés. Les policiers ouvrent le feu sur la foule, tuant on ne saura jamais combien de personnes. Une chasse aux sorcières est lancée dans toute la ville. Les autorités sont furieuses. Il faut des coupables. Sept anarchistes sont arrêtés. Ce sont : August Spies, Samuel Fielden, Adolph Fischer, George Engel, Michael Schwab, Louis Lingg et Oscar Neebe. Un huitième nom s’ajoute quand Albert Parsons se livre à la police, persuadé qu’on ne pourra le condamner à quoi que ce soit puisqu’il est innocent, comme les autres. En fait, seuls trois des huit suspects étaient présents au Haymarket Square le soir de ce 4 mai fatal.

Le procès des huit s’ouvre le 21 juin 1886 à la cour criminelle de Cooke County. On ne peut et on ne pourra prouver qu’aucun d’entre eux ait lancé la bombe, ait eu des relations avec le responsable de cet acte ou l’ait même approuvé. D’emblée, une évidence s’impose pour tous : ce procès est moins celui de ces hommes-là que celui du mouvement ouvrier en général et de l’anarchisme en particulier. La sélection du jury tourne à la farce et finit par réunir des gens qui ont en commun leur haine des anarchistes. Y siège même un parent du policier tué. Le juge Gary ne s’y est pas plus trompé que le procureur Julius Grinnel qui déclare, dans ses instructions au jury : » Il n’y a qu’un pas de la République à l’anarchie. C’est la loi qui subit ici son procès en même temps que l’anarchisme. Ces huit hommes ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d’eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société. C’est vous qui déciderez si nous allons faire ce pas vers l’anarchie, ou non. »

Le 19 août, tous sont condamnés à mort, à l’exception d’Oscar Neebe qui écope de quinze ans de prison. Le procès a été à ce point ubuesque qu’un vaste mouvement de protestation internationale se déclenche. Il réussit à faire commuer en prison à vie les condamnations à mort de Schwab et Fielden. Lingg, pour sa part, se pend dans sa cellule. Le 11 novembre 1887 Parsons, Engel, Spies et Fischer sont pendus. Ce sont eux que l’histoire évoque en parlant des martyrs du Haymarket. Plus de un demi-million de personnes se pressent à leurs funérailles. C’est pour ne pas oublier cette histoire qu’il sera convenu de faire du premier mai un jour de commémoration. Neebe, Schwab et Fielden seront libérés officiellement le 26 juin 1893, leur innocence étant reconnue ainsi que le fait qu’ils ont été les victimes d’une campagne d’hystérie et d’un procès biaisé et partial. Ce qui reste clair cependant, ce sont les intentions de ceux qui condamnèrent les martyrs de Chicago : briser le mouvement ouvrier et tuer le mouvement anarchiste aux États-Unis. Le jour même où avait été annoncée la condamnation à mort des quatre anarchistes, on avait communiqué aux ouvriers des abattoirs de Chicago qu’à partir du lundi suivant, ils devraient à nouveau travailler dix heures par jour.

Reste une question irrésolue jusqu’à ce jour : qui a lancé cette bombe ? De nombreuses hypothèses ont été avancées, à commencer par celle accusant un policier travaillant pour Bonfield..

Extrait de : Normand BAILLARGEON, L’ordre moins le pouvoir, Agone et Lux.


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