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Dimanche, 22 Déc. 2024

Histoire secrète : «AMGOT», ou quand les Américains ont tenté d’annexer et gouverner la France

Auteur : Annie Lacroix-Riz | Editeur : Walt | Samedi, 08 Juin 2024 - 13h11

L’AMGOT est l’acronyme de Allied Military Government of the Occupated Territories, qui était un plan défini par les États-Unis, et qui visait à imposer dans les pays «libérés de l’occupant nazi» (un occupant financièrement et matériellement aidé par les grandes banques américaines, voir aussi «Ce qu’on ne vous dira jamais sur le 6 juin 1944» …), un gouvernement militaire allié, afin d’assurer une transition pour un retour à la «démocratie».

Soutenu par l’immense majorité des Français, de Gaulle, chef de la résistance, réussit cependant à éviter l’AMGOT et à installer un gouvernement provisoire français (le GPRF) pour assurer le retour à la démocratie. Il s’agit d’un pan entier de l’histoire – et non des moindres -, qui ne nous est curieusement pas enseigné dans les manuels d’histoire ! Si l’on compare ces faits à ceux survenus en Iran, Libye, Afghanistan, Liban, Pakistan, Syrie, Ukraine, etc., etc., etc., soit au total environ 70 pays depuis leur Déclaration d’Indépendance, le doute est-il encore permis ?

Le veilleur

*

C’est une page peu connue de l’histoire de la seconde guerre mondiale : dès 1941-1942, Washington avait prévu d’imposer à la France – comme aux futurs vaincus, Italie, Allemagne et Japon – un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés aurait aboli toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942.

À en croire certains historiens américains, ce projet tenait à la haine qu’éprouvait Franklin D. Roosevelt pour Charles de Gaulle, «apprenti dictateur» qu’il eût voulu épargner à la France de l’après-Pétain. Cette thèse d’un président américain soucieux d’établir la démocratie universelle est séduisante, mais erronée. (1)

Un «Vichy sans Vichy»

À l’époque, les États-Unis redoutaient surtout que la France, bien qu’affaiblie par la défaite de juin 1940, s’oppose à leurs vues sur deux points, du moins si De Gaulle, qui prétendait lui rendre sa souveraineté, la dirigeait. D’une part, ayant lutté après 1918-1919 contre la politique allemande de Washington, Paris userait de son éventuel pouvoir de nuisance pour l’entraver à nouveau. D’autre part, la France répugnerait à lâcher son empire, riche en matières premières et en bases stratégiques, alors que les Américains avaient dès 1899 exigé – pour leurs marchandises et leurs capitaux – le bénéfice de la «porte ouverte» dans tous les empires coloniaux. (2)

C’est pourquoi les États-Unis pratiquèrent à la fois le veto contre De Gaulle, surtout lorsque son nom contribua à unifier la Résistance, et une certaine complaisance mêlée de rigueur envers Vichy. À l’instar des régimes latino-américains chers à Washington, ce régime honni aurait, à ses yeux, l’échine plus souple qu’un gouvernement à forte assise populaire.

Ainsi chemina un «Vichy sans Vichy» américain, qu’appuyèrent, dans ses formes successives, les élites françaises, accrochées à l’État qui leur avait rendu les privilèges entamés par l’«ancien régime» républicain et soucieuses de négocier sans dommage le passage de l’ère allemande à la pax americana.

Préparant depuis décembre 1940, bien avant leur entrée en guerre (décembre 1941), leur débarquement au Maroc et en Algérie avec Robert Murphy, représentant spécial du président Roosevelt en Afrique du Nord et futur premier conseiller du gouverneur militaire de la zone d’occupation américaine en Allemagne – bête noire des gaullistes -, les États-Unis tentèrent un regroupement autour d’un symbole de la défaite, le général Maxime Weygand, délégué général de Vichy pour l’Afrique jusqu’en novembre 1941.

L’affaire échouant, ils se tournèrent, juste avant leur débarquement du 8 novembre 1942, vers le général Henri Giraud. Vint ensuite le tour de l’amiral François Darlan, alors à Alger : ce héraut de la collaboration d’État à la tête du gouvernement de Vichy, de février 1941 à avril 1942, était resté auprès de Pétain après le retour au pouvoir de Pierre Laval. (3)

Le 22 novembre 1942, le général américain Mark W. Clark fit signer à l’amiral «retourné» «un accord singulier» mettant «l’Afrique du Nord à la disposition des Américains» et faisant de la France «un pays vassal soumis à des «capitulations»». Les Américains «s’arrogeaient des droits exorbitants» sur le «prolongement territorial de la France» : déplacement des troupes françaises, contrôle et commandement des ports, aérodromes, fortifications, arsenaux, télécommunications, marine marchande ; liberté de réquisitions ; exemption fiscale ; droit d’exterritorialité ; «administration des zones militaires fixées par eux» ; certaines activités seraient confiées à des «commissions mixtes» (maintien de l’ordre, administration courante, économie et censure). (4)

Laval lui-même préparait son avenir américain tout en proclamant «souhaiter la victoire de l’Allemagne» (22 juin 1942) : secondé par son gendre, René de Chambrun, avocat d’affaires collaborationniste doté de la nationalité américaine et française, il se croyait promis par Washington à un rôle éminent au lendemain d’une «paix séparée» germano-anglo-américaine contre les Soviets (5). Mais soutenir Laval était aussi incompatible avec le rapport de forces hexagonal que ladite «paix» avec la contribution de l’Armée rouge à l’écrasement de la Wehrmacht.

Une «belle et bonne alliance»

Après l’assassinat, le 24 décembre 1942, de Darlan, auquel furent mêlés les gaullistes, Washington revint vers Giraud, fugace second de de Gaulle au Comité français de libération nationale (CFLN) fondé le 3 juin 1943. Au général vichyste s’étaient ralliés, surtout depuis Stalingrad, hauts fonctionnaires (tel Maurice Couve de Murville, directeur des finances extérieures et des changes de Vichy) et industriels (tel l’ancien cagoulard Lemaigre-Dubreuil, des huiles Lesieur et du Printemps, qui jouait depuis 1941 sur les tableaux allemand et américain) et banquiers collaborateurs (tel Alfred Pose, directeur général de la Banque nationale pour le commerce et l’industrie, féal de Darlan).

C’est cette option américaine qu’incarnait Pierre Pucheu en rejoignant alors Alger et Giraud : quel symbole du maintien de Vichy que ce ministre de la production industrielle, puis de l’intérieur de Darlan, délégué de la banque Worms et du Comité des Forges, ancien dirigeant et bailleur de fonds du Parti populaire français de Jacques Doriot, champion de la collaboration économique et de la répression anticommuniste au service de l’occupant (désignation des otages de Châteaubriant, création des sections spéciales, etc.).

Lâché par Giraud et emprisonné en mai 1943, il fut jugé, condamné à mort et exécuté à Alger en mars 1944. Pas seulement pour plaire aux communistes, que Pucheu avait martyrisés : De Gaulle lançait ainsi un avertissement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. Il sema l’effroi chez ceux qui attendaient que le sauvetage américain succédât au «rempart» allemand :

«Le bourgeois français, ricanait un policier en février 1943, [a] toujours considéré le soldat américain ou britannique comme devant être à son service au cas d’une victoire bolchevique». (6)

Peignant de Gaulle à la fois en dictateur de droite et en pantin du Parti communiste français et de l’URSS, Washington dut pourtant renoncer à imposer le dollar dans les «territoires libérés» et (avec Londres) reconnaître, le 23 octobre 1944, son Gouvernement provisoire de la République française : deux ans et demi après la reconnaissance soviétique du «gouvernement de la vraie France», un an et demi après celle, immédiate, du CFLN, deux mois après la libération de Paris et peu avant que De Gaulle ne signât avec Moscou, le 10 décembre, pour contrebalancer l’hégémonie américaine, un «traité d’alliance et d’assistance mutuelle» qu’il qualifia de «belle et bonne alliance». (7)

Écartée de Yalta en février 1945, dépendante des États-Unis, la France s’intégra pleinement dans leur sphère d’influence. La vigueur de sa résistance intérieure et extérieure l’avait cependant soustraite à leur protectorat.

*

Un document présent sur un Groupe d’Études et de Recherches sur la Résistance et la Déportation nous délivre d’autres détails éloquents. Le 7 septembre 1943, le commissaire aux Affaires étrangères, René Massigli, adressait la lettre suivante à MM. Mac Millan et Murphy :

«Monsieur le Ministre, J’ai l’honneur de vous adresser, ci-joint, le texte d’un projet d’accord entre le Gouvernement de Sa Majesté britannique (ou le Gouvernement des États-Unis) et le Comité français de la libération nationale qui a pour objet de préciser les modalités de la coopération à établir, du jour où les forces alliées débarqueront en France, entre ces forces d’une part, les autorités et la population d’autre part».

De cet extrait de lettre on peut supposer que le général de Gaulle, avait eu connaissance de l’existence d’un mémorandum secret «concernant la participation française à l’administration du territoire libéré en France métropolitaine». Cet accord engageait les États-Unis et la Grande-Bretagne et déclarait, pour le principal :

«Article 1er : Le territoire libéré en France métropolitaine sera traité en ami. Cependant, le commandant en chef des forces alliées aura tous les droits d’occupation militaire résultant de la guerre. Il agira sur la base qu’il n’existe pas de gouvernement souverain en France. Il ne négociera pas avec le gouvernement de Vichy, sauf pour transférer l’autorité dans ses propres mains».

«Article 2 : Les fonctionnaires français et le personnel judiciaire seraient nommé, ou confirmés, par le commandant en chef des armées alliées et par ses délégués autorisés».

«Ces mesures ont pour but de créer, aussitôt que possible, des conditions qui permettent le rétablissement d’un gouvernement français représentatif et conforme aux vœux librement exprimés du peuple français».

On savait déjà que l’A.M.G.O.T. préparait son action en formant les cadres de sa structure dans des centres comme Yale ou Charlottsville. Tout était prévu ; ainsi le futur maire de Cherbourg était-il déjà désigné dans cette équipe. 1552 fonctionnaires de cet organe étaient prêts à partir pour la Normandie emportant avec eux des coupures «Francs de la Libération», imprimées d’avance…

Document fourni par Jacques Loiseau – document complet sur ffi33.org

post-scriptum : Notez que le terme «annexion» contenu dans le titre est un clin d’œil face à la propagande occidentale du moment s’évertuant à décrire de la sorte la situation en Crimée, face à l’»envahisseur» russe, qui s’est avéré être notre réel allié, et sans lequel cette guerre préfabriquée aurait sûrement connu une fin toute autre…

Notes:

(1) Costigliola Frank, France and the United States. The Cold Alliance since World War II, Twayne Publishers, New York, 1992.

(2) William A. Williams, The Tragedy of American Diplomacy, Dell Publishing, New York, 1972 (première édition, 1959).

(3) Robert O. Paxton, La France de Vichy, Seuil, Paris, 1974.

(4) Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, 1939-1945, Imprimerie nationale, Paris, 1982, et Annie Lacroix-Riz, Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Armand Colin, Paris, 1999.

(5) Leitmotiv depuis 1942 de Pierre Nicolle, Journal dactylographié, 1940-1944, PJ 39 (Haute Cour de justice), archives de la préfecture de police, plus net que l’imprimé tronqué, Cinquante mois d’armistice, André Bonne, Paris, 1947, 2 vol.

(6) Lettre n° 740 du commissaire de police au préfet de Melun, 13 février 1943, F7 14904, Archives nationales ; voir Richard Vinen, The politics of French business, 1936-1945, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.

(7) Note du directeur adjoint des affaires politiques, Paris, 25 octobre 1944, et traité en huit articles Europe-URSS, 1944-1948, vol. 51, archives du ministère des affaires étrangères.


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