La saucisse au caca de bébé, c’est bon pour la santé
Quand la nouvelle est sortie, les unes en Australie et en Nouvelle-Zélande s’en sont donné à cœur joie. «La saucisse au caca: trop tendance» a sifflé Stuff. «Les scientifiques mettent les mains dans la merde à notre santé», s’est esclaffé WA Today. «SELON MEAT SCIENCE, RIEN NE VAUT LE CACA DE BÉBÉ!», a ironisé le blogueur Cameron Slater.
L’inspiration de ces irrésistibles appâts à clics est une étude récemment publiée par le journal de recherche carnivore Meat Science, dans laquelle des chercheurs espagnols ont fabriqué des saucissons en utilisant trois souches bactériennes isolées à partir de selles de bébés (si cette histoire est d’abord sortie en Australie, c’est parce qu’un scientifique australien expert en manipulation médiatique, au nom étonnamment de circonstance puisqu’il s’appelle Hani Al-Salami, a accordé à WA Today une interview au sujet de cette étude alors même qu’il n’avait pas été personnellement impliqué dans les recherches).
Le saucisson au caca de bébé n’a sans conteste rien de ragoûtant. Mais en réalité, ce n’est pas aussi dégueu qu’on est tenté de le croire quand on se contente de lire la presse à sensation. D’ailleurs, vous avez probablement déjà consommé sans le savoir de la nourriture ou des compléments alimentaires fabriqués à partir d’une souche bactérienne dérivée d’excréments humains.
«Certains probiotiques –pas tous, mais quelques-uns– sont isolés à partir d’excréments», explique Mary Ellen Sanders, consultante en microbiologie des probiotiques (les probiotiques, souvenez-vous, ce sont des bactéries qui ont un effet bénéfique sur la santé).
Sanders donne l’exemple du Lactobacillus rhamnosus GG, probiotique isolé à partir d’excréments humains en 1983 et aujourd’hui largement utilisé dans des produits comme «le babeurre, les yaourts, le lait, les boissons aux fruits, les boissons pour "doses quotidiennes" et les boissons fermentées à base de petit-lait». Soit dit en passant, les chercheurs espagnols qui ont fait du saucisson avec des bactéries fécales de bébés l’ont comparé à du saucisson fabriqué à partir de L. rhamnosus GG, qu’ils ont catalogué souche probiotique commerciale. «Dans le domaine des probiotiques, le fait d’isoler (des bactéries) à partir de sources humaines est un principe de base, parce qu’on a toujours pensé que cela augmenterait les probabilités qu’elles aient des effets physiologiques bénéfiques chez les humains», explique Sanders.
Et il n’y a pas de raison d’être dégoûté ni par le yaourt au L. rhamnosus GG de votre frigo, ni par les saucissons aux bactéries fécales de bébé récemment isolées.
Quand les scientifiques veulent isoler une souche de bactéries à partir de selles humaines –qui peuvent contenir des milliers d’espèces de bactéries différentes– ils diluent à plusieurs reprises l’échantillon fécal jusqu’à ce qu’ils puissent isoler une minuscule quantité de la souche qu’ils cherchent à étudier, avant de lui laisser le temps de se reproduire dans une boîte de Pétri. «Il n’y a évidemment pas de contamination d’aucune autre source», souligne Sanders en me décrivant le processus.
Si la plupart des gens éprouvent du dégoût pour les matières fécales et ont été conditionnés pour éviter tout contact avec elles, notre aversion est disproportionnée par rapport au risque qu’elles présentent vraiment. De nombreuses souches de bactéries que l’on trouve dans les excréments sont inoffensives voire bénéfiques –mais surtout, elles sont déjà partout. Si vous voulez éviter de manger la moindre bactérie née dans un intestin humain, vous abstenir de consommer du saucisson au caca de bébé ne va pas suffire –il va falloir arrêter de manger tout court.
- Source : Slate.fr