Hitler et la fondation d’Israël – L’accord Ha’avara
Si jamais il y a eu un accord qui a permis la création de l’État d’Israël, c’est bien le Ha’avara.
Il n’est pas surprenant que le Dr. Ludwing Pinner, membre du conseil d’administration de la société du Ha’avara, dans son essai « L’importance de l’immigration allemande pour la Palestine juive », publié en 1972, ne tarisse pas d’éloges sur les avantages incommensurables de cet accord. Il démontre clairement que c’est l’immigration de Juifs d’Allemagne qui a préparé le terrain pour l’État d’Israël. Sans le capital allemand, sans le savoir professionnel et technique, sans l’esprit d’initiative et l’énergie des Juifs d’Allemagne, il n’y aurait pas eu d’État d’Israël.
L’émigration régulière des Juifs d’Allemagne a démarré dès le mois de mai 1933 avec la mise en place de l’Organisation Ha’avara qui aura permis le transfert de dix mille Juifs d’Allemagne avec leur fortune et leurs possessions vers la Palestine (Ha’avara comme nous l’écrirons dans la suite signifie « transfert » en hébreu).
Les principes de ce genre de transfert ont été dégagés par Theodor Herzl dans son Der Judenstaat [l’État Juif]. Herzl avait prévu les difficultés qui se présenteraient en cas de départ d’un grand nombre de Juifs de leur pays hôte, en particulier si, comme c’était le cas pour l’Allemagne, ils constituaient un élément économique de poids. Il proposait de créer des « sociétés juives » dont l’objet serait de liquider les biens immobiliers des Juifs sur le départ. Ces migrants ne devaient pas suite à la cession de leurs biens dans le pays d’origine, recevoir de contrepartie monétaire immédiate, mais devraient recevoir « de l’autre côté », Herzl pensait à la Palestine, leur contrevaleur en maisons et marchandises, le tout en accord avec les besoins et le potentiel des nouvelles communautés[1].
Un accord similaire, modifié pour être actualisé aux conditions du moment, a été conclu entre les Allemands et les Juifs en 1938. Les migrants versaient le produit de la vente de leurs actifs sur un compte bloqué et recevaient en contrepartie des maisons, des marchandises ou du terrain en Palestine. Les sociétés palestiniennes qui prenaient part à l’opération utilisaient les reichsmarks versés sur le compte bloqué pour financer les importations de biens en provenance d’Allemagne.
Le premier accord de ce genre a été mis en place entre le ministère des affaires étrangères allemand et la société de plantation des agrumes Hanoteah Ltd. En mai 1933. Dolf Michaelis, le banquier Juif et expert économique, ancien consultant de la Ha’avara le décrit ainsi :
« L’accord avec le ministère prévoyait que moyennant un versement – pouvant se monter à 40 000 reichsmarks dans le cas de certains particuliers – sur le compte bloqué de la Hanoteah, les émigrants, ou ceux qui projetaient de partir plus tard, recevraient l’autorisation d’établir une ferme en Palestine. Hanoteah s’engageait par contrat, en contrepartie, de mettre à disposition des transférés une maison ou une plantation d’agrumes qu’ils pourraient travailler eux-mêmes, ou, par accord spécifique, de mandater la Hanoteah pour l’exploiter à leur place. De son côté, Hanoteah Ltd se servait des reichsmarks du compte bloqué pour se procurer ce dont elle avait elle-même besoin: machines agricoles, pompes, tuyaux, engrais et ainsi de suite[2] ».
L’accord a bientôt été élargi et étendu à d’autres sociétés de mandataires. Son « document fondateur », pour ainsi dire, était la circulaire N°54/33 du 28 août 1933 du ministère de l’Économie du Reich destinée de tous les bureaux de change à l’étranger:
« Pour continuer à promouvoir l’émigration des Juifs allemands vers la Palestine en y allouant tous les fonds nécessaires sans pour autant que cela ne fasse peser une contrainte excessive sur les avoirs en devise étrangères de la Reichsbank et pour permettre, dans le même temps, d’accroître les exportations allemandes vers la Palestine, un accord avec les organismes juifs a été trouvé reposant sur les principes suivants :
Les émigrants agréés par le Conseil Consultatif des Émigrants et ayant besoin de sommes supplémentaires nécessitées par le démarrage d’une nouvelle existence en Palestine – les sommes au-delà des 1000 livres palestiniennes requises pour entrer dans ce pays – peuvent recevoir l’autorisation, dans le cadre de l’agrément du Conseil Consultatif des Émigrants, de verser des montants supérieurs à 15 000 reichsmarks sur le compte spécial I, mis en place au bureau principal de la Reichsbank, au nom de la Société du Temple, au crédit d’une société mandataire en cours de création – ou jusqu’à ce qu’il y en ait une de créée – avec un compte ouvert dans une banque Anglo-palestinienne.
Le compte spécial I, pour lequel, avec le compte spécial II (mentionné plus loin), il est prévu une capitalisation totale de trois millions de reichsmarks, sera gérée par la Bank du Temple comme un compte commun des sociétés mandataires juives en question. Le règlement des exportations allemandes vers la Palestine sera prélevé sur ce compte. Les sociétés mandataires palestiniennes pourront alors verser aux migrants la contrepartie en livres palestiniennes des sommes qu’ils ont reçues d’eux en reichsmarks sur le compte I à concurrence des sommes versées sur ce compte.
Pour conseiller les Juifs sur cette méthode de transfert de capital vers la Palestine, il a été créé en SARL la « Société Palestinienne de Conseil Fiduciaire des Juifs allemands » dont le siège est au 218 de la Friedrich strass à Berlin. Je suggère que lorsqu’une autorisation est donnée, cette société soit mentionnée.
En outre, un compte spécial II a été créé au bureau principal de la Reichsbank dont le titulaire est la Banque du Temple. Sur demande, l’administration des changes peut autoriser des citoyens juifs d’Allemagne qui ne sont pas encore sur le point d’émigrer, mais qui veulent néanmoins acquérir une propriété en Palestine de verser sur ce compte II jusqu’à 50 000 reichsmarks par personne (somme également à verser au crédit d’un compte d’une société mandataire en cours de création ou jusqu’à ce qu’il y en ait une de créée avec un compte ouvert dans une banque Anglo-palestinienne)[3] ».
Tout au long des années qui ont suivi, le principe est resté le même. Les seuils des montants maximums qu’il était possible de verser ont été sensiblement augmentés ou les limitations levées. En 1936, l’Agence Juive a pris en charge le Ha’avara et remplaçait les différentes agences fiduciaires. Cet accord devait fonctionner huit ans. Même près le début des hostilités, les autorités allemandes se disaient toujours prêtes à poursuivre le Ha’avara à condition que la Palestine, en tant que territoire sous mandat de la SDN, ne puisse entrer en guerre contre l’Allemagne. Mais l’enrôlement forcé de la Palestine dans l’organisation de guerre de l’Angleterre a rendu impossibles les virements bancaires directs vers ce territoire. Pourtant, par l’intermédiaire d’une filiale anglaise de la Ha’avara, « Intria » en passant par des établissements en pays neutres, les Juifs allemands pouvaient toujours faire des transferts de capitaux vers la Palestine. En décembre 1941, quand l’Amérique est entrée en guerre, cette filière a disparu.
Les comptes de transfert du Ha’avara étaient, en Allemagne, aux mains de deux banques privées juives, celles de M.M. Warburg à Hambourg, et celle de A.E. Wassermann à Berlin. Quand la guerre a éclaté, les deux banques ont été placées sous curatelle administrative allemande. Les sommes non transférées disponibles ont été traitées comme propriété d’ennemis et n’ont pas été confisquées. Après la guerre, elles étaient de nouveau à la disposition de ceux qui les avaient versées.
Pour obtenir un visa d’immigration en Palestine, il fallait avoir un capital minimum de 1000 livres palestiniennes (£P) qui équivalait à la livre sterling anglaise. En raison de la dévaluation du reichsmark entre 1933 et 1939, sa valeur a baissé. En 1933, 1 000 livres palestiniennes (ou livre anglaise) pouvaient être achetées pour 12 500 RM, en 1939, il en fallait 40 000. Le pouvoir d’achat d’une livre palestinienne était bien supérieur à celui de la valeur équivalente en RM. En 1933, le salaire mensuel moyen d’un travailleur en Palestine se situait entre 6 et 7 livres palestiniennes. Un salaire de quatre livres était considéré comme correct. Donc, un millier de £P représentaient une somme tout à fait considérable. On peut comprendre que les Juifs qui possédaient une telle somme étaient considérés comme des capitalistes (c’est comme qu’on les appelait officiellement). Les capitalistes constituaient une catégorie de migrants à part dite « A-1 » ; il n’y avait pas de restriction à leur immigration.
Le Ha’avara a rendu possible non seulement l’émigration des fortunés, mais aussi celle de Juifs moins aisés. Comme les sommes versées sur les comptes spéciaux en Allemagne excédaient de loin la demande de marchandise de la petite communauté d’immigrants juifs en Palestine, des crédits à long terme ont été octroyés sur la base des sommes qui se sont accumulées sur ces comptes spéciaux à des Juifs allemands qui voulaient partir mais qui n’en avaient pas les moyens. Les remboursements devaient se faire plus tard en Palestine. Du moment qu’un Juif était prêt à partir en Palestine, le Ha’avara lui permettait de le faire.
Il y avait des accords similaires avec d’autres pays, mais les avantages du Ha’avara ne leur étaient pas applicables.
Dans le même temps, les exportations allemandes par le biais du Ha’avara n’étaient pas seulement à destination de la Palestine, mais aussi de l’Égypte, de la Syrie et de l’Irak. Toutes ces livraisons, également, pouvaient être payées en « Ha’avaramarks », ce qui signifiait une perte conséquente en devises pour l’Allemagne, néanmoins, ces transactions étaient autorisées par les autorités allemandes.
En plus des transferts de capitaux, le Ha’avara permettait le transfert des pensions de retraite, des frais d’études et de l’argent pour les frais de tous les jours. Les allocations dues aux fonctionnaires qui avaient été licenciés leur étaient régulièrement versées par leur autorité de tutelle.
Les fonctionnaires Juifs de l’État ou des communes qui avaient été mis à la retraite d’office en raison des lois raciales, ainsi que les fonctionnaires des associations et institutions juives pouvaient émigrer en Palestine et y recevraient de quoi vivre en livres palestiniennes. Environ six cents retraités de ce type ont pu recevoir leur traitement d’Allemagne par le Ha’avara[4].
Les pensionnés juifs de la guerre de 1914- 1918, pratiquement sans exception, recevaient leurs paiements directement par courrier.
Le bénéfice de l’accord Ha’avara ne se limitait pas aux immigrants juifs allemands en Palestine. Yeshov, la colonie juive déjà présente en a également très largement profité. La note 128 fait référence à une étude sur le Ha’avara suggérée par l’ancien directeur de la Société [qui gérait le Ha’avara] et préparée par son équipe qui contenait la remarque suivante :
« L’activité économique rendue possible par les contributions en capital de l’Allemagne et par les transactions du Ha’avara dans le secteur public et privé a été d’une grande importance pour la construction du pays. Beaucoup des nouveaux intérêts industriels et commerciaux en Palestine se sont formés à cette époque et toute une série de sociétés qui sont d’une importance considérable pour l’économie de l’État d’Israël aujourd’hui doivent leur création à la Ha’avara. Parmi elle, on en trouve une d’une importance vitale, « Mekoroth » qui fournit en eau Israël.
Dans les années 1933 -1940, les implantations juives ont doublé en taille et en productivité. Ceci n’a été possible que par les crédits d’installation qui venaient de l’accord Ha’avara[5] ».
Plus de la moitié des « capitalistes » qui ont émigré en Palestine dans les années 1933 – 1940 venait d’Allemagne. Le montant correspondant du flux de capital entrant se montait à vingt millions de livres palestiniennes, équivalent, comme cela a déjà été dit, à autant de livres sterling. Cet argent ne bénéficiait qu’à la population juive qui était passée en 1941 à 500 000.
Il n’est pas surprenant que le Dr. Ludwing Pinner, membre du conseil d’administration de la société du Ha’avara, dans son essai « L’importance de l’immigration allemande pour la Palestine juive », publié en 1972, ne tarisse pas d’éloges sur les avantages incommensurables de cet accord. Il démontre clairement que c’est l’immigration de Juifs d’Allemagne qui a préparé le terrain pour l’État d’Israël. Sans le capital allemand, sans le savoir professionnel et technique, sans l’esprit d’initiative et l’énergie des Juifs d’Allemagne, il n’y aurait pas eu d’État d’Israël. Ce sont eux qui en développant les implantations et les industries ont d’abord rendu possible l’immigration des Juifs plus pauvres des autres parties du monde. Dr. Pinner écrit :
« Les immigrants allemands ont profondément changé les structures économiques et sociales des implantations juives et ont contribué de manière décisive à leur développement. Avec l’immigration en provenance d’Allemagne, il y a eu un essor industriel prodigieux. Des centaines d’usines et de magasin ont été construit. Peut-être plus important encore que l’expansion industrielle per se, il y a eu une élévation de son niveau technologique. L’activité des industriels et des inventeurs juifs allemands aura été déterminante dans le décollage économique des implantations de l’ère préindustrielle et précapitaliste.
Les transactions du Ha’avara et les structures de l’économie capitaliste familière aux Juifs d’Allemagne ont permis la création d’un marché des capitaux d’investissements qui a permis la mise en place de financement à long terme pour le secteur du bâtiment, l’équipement des colonies et l’industrialisation et a créé les conditions préalables au recyclage productif de l’épargne et des réserves monétaires en vue de la construction du pays.
Les immigrants d’Allemagne, habitués aux actions, obligations et autres emprunts ont été les premiers à établir les fondations d’un marché financier moderne. C’est de la chambre de compensation mise en place à l’époque qu’est née plus tard la bourse de Tel Aviv.
L’influence des immigrants juifs d’Allemagne dans le développement de la Palestine ne s’est pas fait sentir uniquement sur le plan économique et social, elle était également considérable au plan culturel dans les domaines de la science et de l’art.
Par l’équipement moderne de ses hôpitaux le Ha’avara a permis à la Palestine de devenir un centre médical de premier ordre. Les scientifiques de haut rang qui se sont joints aux équipes des centres de recherches et d’enseignements alors balbutiants ont été déterminant pour la création de l’enseignement supérieur en Palestine.
Dans le domaine artistique, c’est par leur contribution à la vie musicale en Palestine que les immigrants d’Allemagne doivent être le plus admirés. L’orchestre philharmonique bénéficie aujourd’hui d’une renommée mondiale. Lors de sa création en 1936 par Bronislaw Hubermann, il était composé presque exclusivement d’artistes en provenance d’Allemagne ».
Le Dr. Pinner conclut cette partie de son histoire par cette observation :
L’engagement dont ont fait preuve ces gens dans les centres de recherches et d’enseignements, dans l’économie et dans l’administration, dans la vie publique et dans l’organisation de la défense aura été d’une importance incalculable dans la préparation des colonies juives aux tâches cruciales qui les attendaient[6].
Si jamais il y a eu un accord qui a permis la création de l’État d’Israël, c’est bien le Ha’avara.
Pourtant, et ça n’étonnera pas tous les familiers de l’esprit de l’époque (1980), aucune des histoires de l’État d’Israël alors publiées ne fait la moindre allusion au Ha’avara. La raison de cette curieuse omission pourrait bien être que si le Ha’avara était mis en avant, cela révèlerait au monde que l’Allemagne national-socialiste diabolisée pour avoir « exterminé » les Juifs, a en réalité, par cet accord exceptionnellement généreux, posé les fondations de l’État d’Israël[7].
Le rêve d’Herzl est devenu réalité grâce au Ha’avara: l’émigration légale des Juifs d’Allemagne a eu lieu dans un cadre solide dans lequel le Ha’avara a joué le rôle de la « société juive » prévue par Herzl pour superviser le transfert des actifs juifs.
Pour l’Allemagne en revanche, le Ha’avara présentait des aspects dommageables. Dans le cadre des transferts, les exportations allemandes vers la Palestine se réglaient par prélèvement sur les comptes bloqués et ne rapportaient donc aucune devise. À une époque où les exportations allemandes faisaient face aux plus graves difficultés – dont la moindre, ironie de l’histoire, n’était pas la campagne acharnée de boycott des produits allemands menée par la juiverie internationale – ce type d’exportations était une grosse charge pour la balance des paiements. Raison pour laquelle il y avait de fréquentes objections au Ha’avara.
Au-delà, le ministère des affaires étrangères soulevait des réserves de nature politique. Le consul général d’Allemagne à Jérusalem, Hans Döhle, par sa note d’analyse du 22 mars 1937, soulignait qu’avec l’accord du Ha’avara, le gouvernement allemand avait mis « la promotion de l’émigration des Juifs d’Allemagne et leur installation en Palestine » devant toute autre considération occultant ainsi le fait qu’il y avait d’autres pays qui étaient d’une importance critique pour la sauvegarde des intérêts allemands ». Le renforcement de l’économie juive « par le transfert des entreprises industrielles juives allemandes vers la Palestine » travaille contre l’Allemagne sur le marché mondial. Döhle souligne « l’hostilité des Juifs de Palestine envers l’Allemagne se manifeste à chaque occasion[8] ».
Et il y avait un autre inconvénient à l’arrivage de produits allemands en Palestine : c’est que la Grande-Bretagne se sentait elle-même lésée et montait des attaques contre l’Allemagne dans sa presse. L’Angleterre refusait de voir le côté positif de l’aide allemande aux Juifs et ne voulait voir que la concurrence commerciale allemande.
Selon l’analyse de Döhle, au vu de ses effets négatifs, l’Allemagne était globalement perdante dans l’accord du Ha’avara :
- Pertes de devises en raison des exportations qui n’étaient pas réglées en devises étrangères convertibles. [NdT, argument douteux, si l’argent avait été versé directement en devise aux migrants, il y aurait eu la même perte en devise, et on n’était pas sûr que les migrants auraient ensuite importé des marchandises allemandes. Au moins, avec le Ha’avara, l’Allemagne ne versait aux migrants que les devises issues de l’exportation « forcée » de l’Allemagne vers la Palestine en fait, le Ha’avara était l’équivalent moderne des swaps de devises, ou contrat de couverture de change]
- Renforcement de l’influence antiallemande juive en Palestine par renforcement de son économie.
- Contrôle des importations allemandes en Palestine par l’Agence Juive sans considération des intérêts commerciaux de l’Allemagne.
- Mécontentement des commerçants arabes et des Allemands installés sur place en les forçant à commercer avec l’Allemagne par le biais de l’Agence Juive.
- Mécontentement de l’administration du Mandat britannique qui voyait ses positions privilégiées compromises par la concurrence allemande.
En dépit de ces considérations, Adolf Hitler a constamment maintenu sa décision de favoriser l’émigration des Juifs par tous les moyens et dit qu’il ne pouvait être question d’annuler l’accord du Ha’avara. Le résultat de cette position du Führer était que le Ha’avara est resté actif jusqu’en 1941.
La conférence d’Évian et le « comité intergouvernemental »
À l’été 1938, sur l’initiative du président américain Franklin Delano Roosevelt, s’est tenue dans la station thermale française d’Évian sur le lac de Genève, une conférence sur les réfugiés. Des représentants de 32 pays se sont rencontrés du 6 au 15 juillet à l’hôtel Royal pour des entretiens secrets qui portaient sur les possibilités de venir en aide aux Juifs qui émigraient d’Allemagne.
Les représentants de chacun des 32 pays étaient tous d’accord. L’émigration juive était une cruauté inouïe infligée par le gouvernement allemand. La souffrance des Juifs incommensurable. L’urgence déchirante de la situation exigeait une coopération internationale immédiate. Pas un délégué qui ne monte sur ses grands chevaux pour dénoncer dans une rhétorique enflammée l’exceptionnel antisémitisme de l’Allemagne et qui ne se répande en compassion pour les victimes. Mais pas un non plus pour déplorer que son pays, pour sa part, ne pouvait se permettre d’accueillir un grand nombre de migrants.
L’Allemagne n’était pas à la conférence, ni en tant que participant ni en tant qu’observateur, elle n’en attendait rien de concret. Après dix jours dans les spas luxueux de l’hôtel, les représentants des 32 nations ont réglé la note et sont rentrés à la maison. Restaient sur place George Rublee et le « comité intergouvernemental de la conférence d’Évian ». Sur la fin, les participants ont décidé de créer ce comité pour justifier leurs notes de frais et pour donner l’impression d’être toujours préoccupés par le sort des Juifs d’Allemagne. George Rublee, l’avocat américain qui avait alors plus de soixante-dix ans, en a été nommé le directeur. D’après le Washington Post du 11 août 1938, il avait un don exceptionnel pour arranger les choses, était profondément engagé dans les causes humanitaires, et avait cette capacité exceptionnelle de régler les problèmes les plus épineux sans avoir l’air d’y toucher.
Rublee a été le directeur du « comité intergouvernemental » jusque vers la fin février 1939. Durant les sept mois de son activité, il s’est heurté à un mur d’indifférence de la part des autres membres du comité. Des années plus tard, il a publié un rapport avec ce commentaire :
« J’ai vite réalisé que ni le gouvernement anglais ni les cercles diplomatiques ne portaient le moindre intérêt à mon travail. L’ambassadeur américain [à Londres] Joseph P. Kennedy n’y a montré qu’un intérêt poli et ne m’a jamais vraiment soutenu. Je suppose que le président Roosevelt n’était pas non plus particulièrement intéressé. Il s’agissait seulement pour lui de produire une gesticulation pour apaiser l’indignation provoquée par la persécution des Juifs[9] ».
Si par hasard on tombe aujourd’hui sur une référence à la conférence d’Évian, ce sera toujours avec le commentaire qu’elle est restée sans effet, tout comme les efforts du comité intergouvernemental. Pour les Juifs, cette conférence internationale était la preuve de l’indifférence générale face aux persécutions dont ils étaient l’objet et démontrait l’impuissance des démocraties libres face aux « brutales dictatures brunes ».
Ce jugement est pourtant à l’opposé de ce qui s’est réellement passé. Il est vrai que les « démocraties libres » et leur conférence internationale n’ont débouché sur aucun plan d’ensemble. En revanche, le gouvernement allemand « la brutale dictature brune », en février 1939, après à peine quatre semaines de négociations, a signé un accord secret avec George Rublee, un accord qualifié par les initiés de « sensationnel, complètement extraordinaire, d’une souplesse et d’une générosité qu’on ne pouvait espérer. » L’accord était réellement « sensationnel ».
Contre la volonté de Chaim Weizmann, le président de l’Agence juive, en dépit de la résistance des Juifs anglais, français et américains, un programme d’assistance en faveur des migrants Juifs a été conçu qui aurait financièrement assuré la réinstallation de plus de quatre cent mille Juifs.
Sans préjudice pour leur patrimoine, et, si nécessaire, en bénéficiant de formations professionnelles, à la charge du gouvernement allemand, dans les domaines de l’artisanat et du commerce les plus recherchés dans les pays d’accueil, les familles juives auraient pu quitter l’Allemagne pour aller vivre dans le pays de leur choix. La permission d’émigrer aurait aussi été étendu aux Juifs détenus dans des camps pour des motifs autres que criminels.
Ainsi, pour faciliter l’accueil des Juifs par les autres pays, le gouvernement allemand allait au-delà de la libre circulation des actifs juifs, il ajoutait des formations et des remises à niveau, il était même prêt, dans la mesure du possible et de l’acceptable, à remettre certains casiers judiciaires à zéro. Les Juifs âgés de plus de 45 ans étaient laissé libre de choisir de partir ou de rester. S’ils choisissaient de rester, on leur garantissait la sécurité, la liberté de mouvement, et la liberté de travailler où bon leur semblait. Les personnes plus âgées, qui n’étaient plus capables de travailler, devaient être pris en charge par des programmes sociaux qui les mettraient à l’abri des soucis matériels. Les restrictions (limitations dans les voyages, ou pour l’exercice de certaines professions) devaient être largement assouplies par l’entrée en vigueur de l’accord Rublee[10].
Avant de revenir sur cet accord et les tractations qui y ont conduit, il peut être intéressant de jeter un œil sur un plan de financement de l’émigration et de la réinstallation des Juifs allemands conçu après la nuit de cristal par le Dr. Hjalmar Schacht à la demande expresse d’Adolf Hitler, plan que le Dr. Schacht a emmené avec lui pour le présenter à Londres.
Le plan Schacht
L’idée du Dr Schacht, était de regrouper les actifs des citoyens Juifs allemands résidant en Allemagne dans des sociétés fiduciaires administrées par un comité comprenant des Juifs allemands et des financiers étrangers. L’ensemble des actifs Juifs, estimé par la Reichsbank en novembre 1938 à six milliards de reichsmarks – une évaluation jugée par la suite trop basse de moitié – devait servir de garantie à des prêts en devises étrangères pour une contrevaleur d’un milliard et demi de reichsmarks. C’est cette somme qui aurait servi à financer l’émigration.
Schacht était persuadé que les Juifs fortunés à l’étranger souscriraient sans hésiter à cet emprunt pour aider leurs coreligionnaires d’Allemagne. C’est ainsi que, début décembre 1938, le Dr. Schacht s’est pris par la main pour se rendre à Londres et discuter de sa proposition avec divers personnages. Il a négocié avec Montague Norman, le gouverneur de la banque d’Angleterre avec lequel il avait des liens personnels d’amitié, puis avec Lord Winterton, Lord Keeper (Lord du sceau privé) et président de la conférence d’Évian, avec Sir Frederick Leith-Ross, premier conseiller économique du gouvernement britannique, s’ajoutant aux précédents, Lord Bearstedt de la banque Samuel & Samuel et enfin, avec George Rublee qui avait animé le « comité intergouvernemental » à Londres.
Dans le cours des entretiens, Lord Bearstedt fit remarquer que la question ne pouvait pas être négociée sans la participation des Juifs eux-mêmes et suggéra qu’on commence par consulter le Dr. Chaim Weizmann, le président de l’Agence juive.
Schacht nous narre tout cela :
« Le deuxième jour, Lord Bearstedt revint, et, de nouveau en présence de Montague Norman déclare : « Je suis désolé, Chaim Weizmann est fermement opposé à ce plan ». Je lui demande alors « Pouvez-vous me donner la raison de son refus ? » Sa réponse fut: « Malheureusement, non » que j’ai pris pour un « malheureusement, je ne peux pas la dire », ce que bien entendu il s’est gardé de dire. Il ajouta simplement « Je ne peux pas vous dire pourquoi les Juifs n’accepteraient pas ce plan[11] ».
À première vue, cela paraît ahurissant ! Pourquoi les Juifs n’accepteraient pas ce plan ? Pourquoi Weizmann refuse d’aider les Juifs à émigrer d’Allemagne ?
Dr. Schacht a son idée :
« Nous ne pouvons pas d’emblée écarter l’idée que Weizmann ne se soit dit : « Je n’arriverai à atteindre mon but, reconstruire Zion, fonder un nouvel État juif, que si j’accepte de passer par de grands sacrifices capables de donner à la cause son élan ». Je pense qu’il avait en tête de réaliser des sacrifices ».
Cela ne s’est pas passé comme Schacht le pensait. D’abord, ce n’est pas le plan de Rublee qui a été refusé, mais la méthode de financement par un emprunt privé fait en commun par les Juifs fortunés. Et puis ce n’est pas Weizmann qui a pris la décision, du moins, pas de lui-même.
Schacht est resté à Londres du 14 au 17 décembre 1938. Comme il l’a dit au journaliste Vogel en 1970, il en est parti avec l’impression que le plan était fichu. Mais ce n’est pas ce qu’il disait en décembre 1938. Un câble du 16 décembre 1938 de l’ambassadeur allemand à Londres, von Dirksen, au ministère des affaires étrangères à Berlin disait :
« Le président de la Reichsbank, le Dr. Schacht, qui est depuis trois jours à Londres où il est l’invité de M. Norman Montague, va rentrer à Berlin samedi de bonne heure. Il m’a informé comme suit des résultats de ses discussions :
Concernant la question des Juifs d’Allemagne, il a eu de longs entretiens avec Lord Winterton, président de la conférence d’Évian, M. Rublee, président du comité intergouvernemental des réfugiés et avec Sir Frederick Leith-Ross, premier conseiller économique du gouvernement britannique. Dans ces discussions, il a présenté un plan par lequel en quelques années 150 000 Juifs pourraient partir d’Allemagne et être réinstallés à l’étranger. Le financement se ferait par un emprunt de 1,5 milliard de reichsmarks qui devait être placé par un consortium étranger. Le paiement des intérêts et le remboursement du capital devrait être faits par l’Allemagne au moyen d’exportations supplémentaires.
Le plan a été accepté par Lord Winterton et par Leith-Ross comme une base de discussions. Il est prévu de confirmer la tenue de ces discussions dès que le Dr. Schacht aura fait son rapport à Berlin et que de nouvelles lignes de conduite auront été définies de notre côté[12] ».
Dans l’intervalle, George Rublee poursuivait les négociations à Londres. Le 18 décembre, il écrivait à Washington au sujet de la question du financement :
« Nous avons eu des entretiens à haut niveau avec les principaux responsables juifs à Londres, nous avons aussi sollicité l’avis des responsables juifs de Paris, il en est ressorti que les Juifs rejettent catégoriquement un plan visant à créer un comité privé. Ils sont d’avis qu’avec un tel comité, l’idée qu’il pourrait exister quelque chose comme une juiverie mondiale se verrait accorder une certaine crédibilité. Selon eux, le financement doit être assuré par les gouvernements représentés au comité intergouvernemental[13] ».
En réponse, Rublee a reçu un câble en provenance du sous-secrétaire d’État Summer Welles à Washington, qui soulignait que personne à Washington ne voyait la moindre chance de succès pour un plan tel que proposé par Schacht. D’ailleurs tout le plan revenait à accepter de payer la rançon exigée par l’Allemagne pour la libération des otages.
Rublee ne se laissait pas décourager. Il convoqua une réunion pour le 20 décembre 1938 à Paris à laquelle des experts financiers de France, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas devaient prendre part. Mais à cette réunion également il est apparu évident qu’il ne serait pas possible à des services privés de lever un emprunt d’un milliard et demi de rechmarks en devises. Seul un consortium international public pourrait le faire. La clause de Schacht stipulant que les intérêts que l’Allemagne était prête à payer devraient eux-mêmes être financés par un autre emprunt en devises a été considérée particulièrement indécente par les participants. La réunion s’est achevée sur la conclusion que l’Allemagne devrait s’engager à payer elle-même les intérêts directement en devises. Il était également prévu entre autres considérations que les entrepreneurs étrangers soient incités à lever le boycott.
Il vaut particulièrement la peine d’être relevé que le boycott annoncé en mars 1933 à Londres et de nouveau proclamé par Samuel Untermyer en août 1933 devant une assemblée juive à New York – religieusement observé depuis – l’était au nom d’une communauté juive mondiale, dont en décembre 1938, les Juifs disaient qu’elle n’existait pas. Ce qui n’empêchait pas qu’on se serve encore du boycott pour faire pression sur l’Allemagne.
Après la trêve de Noël, Rublee a été invité à Berlin pour discuter, un signal clair du tournant de la politique allemande sur la question juive après la nuit de cristal. Avant novembre, les gesticulations du « comité d’Évian » étaient vues avec un certain scepticisme et il avait été plusieurs fois refusé de recevoir M. Rublee officiellement à Berlin. La question Juive était une affaire intérieure à l’Allemagne et on n’avait pas l’intention de tolérer des ingérences externes.
En l’occurrence, c’était aussi la position défendue jusqu’en octobre 1938 par le représentant français parlant au nom de tous les participants à la conférence d’Évian : « aucun des États présents ne discute le droit absolu du gouvernement allemand de prendre des mesures qui ne relèvent que du seul exercice de sa souveraineté concernant certains de ses citoyens ».
La même assurance avait été donnée à l’ouverture de la conférence par l’ambassadeur britannique :
« La conférence s’abstient strictement de toute critique et de toute tentative d’ingérence dès lors qu’il s’agit du droit de l’Allemagne de prendre des mesures de politique interne au sujet des convictions politiques ou religieuses de ses citoyens ou de leurs relations raciales[14] ».
Les événements de la nuit de cristal ont produit un changement brusque et radical de l’attitude allemande. Les négociations ont été tellement accélérées par la partie allemande, qu’elles ont pu se conclure avec succès en quelques mois, un rythme qui a même surpris Rublee.
Le premier groupe de juifs allemands de la Jugend-Alija (immigration de la jeunesse) débarque au port d’Haïfa en février 1934
L’accord Rublee – Wohlthat
George Rublee est arrivé à Berlin au début de janvier 1939 et a entamé les négociations, au départ avec le Dr Schacht, puis – après le renvoi de Schacht de la présidence de la Reichsbank – avec Herbert Wohlthat et le directeur de cabinet d’Hermann Göring les négociations ayant été demandées par Göring. Après à peine quatre semaines, les deux parties étaient en mesure de signer l’accord auquel il a été fait allusion plus haut et dont le rapport déjà mentionné de Rublee esquisse les contours :
« Environ 600 000 Juifs vivent en Allemagne… On part de l’hypothèse qu’il y a parmi eux 150 000 jeunes capables de travailler qui devront quitter l’Allemagne en bon ordre sur une période de cinq ans, soit 30 000 par an qui devront être réinstallés ailleurs dans le monde. Il est prévu que les 150 000 soient suivis après un certain temps par les 250 000 membres de leur famille ce qui fera en tout 400 000 départs de l’Allemagne. Les 200 000 restants seront les personnes âgées (plus de 45 ans), les personnes malades et celles dans l’incapacité d’émigrer pour une raison ou une autre. Il est prévu qu’ils restent en Allemagne où ils seront décemment traités. À Londres, la partie Juive doit créer une association qui devra envoyer des observateurs en Allemagne dont la mission sera de contrôler que l’émigration se passe de façon ordonnée. Ce sont les Juifs eux-mêmes qui devront choisir ceux qui devront partir. Il y a des clauses qui prévoient l’assouplissement rapide des restrictions imposées aux Juifs en Allemagne sur leurs déplacements et la levée des interdictions concernant l’exercice de certaines professions.
L’accord était bien plus accommodant et généreux qu’on ne pouvait l’espérer[15] ».
Dans un entretien accordé au journaliste Rolf Vogel en 1974, Helmut Wohlthat affirmait que même si l’accord n’a jamais été officiellement désigné comme tel, il avait la valeur contraignante d’un contrat.
« Nous avons alors établi une sorte de mémorandum approuvé de M. Rublee et de moi- même, mémorandum que M. Rublee m’a retourné sous forme de lettre… Ce mémorandum était un clair règlement du traitement des émigrants d’Allemagne… La correspondance avec M. Rublee était en pratique, la base d’un contrat ».
Lorsque Vogel a demandé à Wohlthat si aucun des ministres ou même Himmler lui-même avait soulevé la moindre objection à l’accord, il a catégoriquement répondu par la négative :
On m’a un jour fait remarquer que le papier que j’avais rédigé avait bien sûr fait l’objet d’une consultation par la police secrète d’État (la Gestapo). Ici je voudrais souligner qu’avant de ratifier le papier que m’avait adressé Rublee pour signature, je l’ai personnellement présenté à Göring en lui déclarant que je ne signerais le papier qu’avec son aval, et ne le ratifierais que si j’avais l’assurance que l’esprit de l’accord serait respecté. Göring est alors allé voir une fois de plus Hitler et a obtenu son approbation personnelle. Ce n’est qu’alors que j’ai ratifié le contenu du papier de M. Rublee[16] ».
Dès lors il n’y a aucun doute que l’ensemble de l’accord a été mis en place avec l’approbation expresse du plus haut niveau du gouvernement du Reich. Nous avons là le plan détaillé de ce que la « solution finale » aurait pu être. Les discussions poursuivies aux États-Unis avec le délégué américain à la conférence d’Évian, Myron C. Taylor, ont aussi été finalement couronnées de succès. Helmut Wohlthat, dans un mémorandum pour archive daté du 29 avril 1939 note :
« M. Taylor m’a téléphoné de New York. Les négociations n’ont pas été sans mal, mais il a appris que les banquiers juifs américains étaient prêts à lever autant de fonds que nécessaire pour garantir la réalisation de tous les projets de réinstallations. Ms. Taylor, Peel et Sir Hebert Emerson sont convaincus que le financement de l’immigration est assuré[17] ».
George Rublee, dans son rapport, indiquait plus loin :
« Les Allemands ont tenu toutes leurs promesses et jusqu’en août, la partie juive faisait aussi le nécessaire. Et puis la guerre a éclaté et tout s’est arrêté.
Peut-être que sans l’arrivée de la guerre, la question juive en Allemagne aurait pu aboutir. Dans les mois entre mon départ de l’Allemagne et l’éclatement de la guerre il n’y a pour ainsi dire pas eu une seule persécution contre les Juifs. Certains sont partis, et d’autres ont eu la vie plus facile. J’ai reçu pas mal de lettres d’Allemagne… dans lesquelles [les Juifs] exprimaient leurs remerciements pour ce que j’avais fait pour eux[18] ».
George Rublee écrit : « Peut-être que sans l’arrivée de la guerre, la question juive en Allemagne aurait pu aboutir ». Mais est-ce que c’est ce que voulaient vraiment les Juifs ?
Un apaisement dans les persécutions juives – réelles ou alléguées – en Allemagne, aurait au moins eu le mérite de priver les Juifs américains de leur meilleur argument pour pousser à la guerre contre le Reich Allemand. Quels que soient les échafaudages moraux sur lesquels ils comptaient s’appuyer pour alimenter leur rhétorique de guerre contre l’Allemagne, ils se seraient effondrés. Mais déjà, la guerre était devenue inévitable.
Une autre question qu’on est en droit de se poser, c’est de savoir si ce n’est pas justement cette menace de l’élimination de l’influence Juive en Allemagne – qui se serait sûrement réalisée avec leur émigration – qui serait une des causes, si ce n’est la cause de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale ? Ou devons-nous croire qu’une grande puissance pourrait abandonner une place forte dans un des plus importants États sans combattre ?
Les Juifs aux États-Unis n’étaient pas si reconnaissants envers les efforts de George Rublee que l’étaient les Juifs d’Allemagne. Rublee, en gentleman, le dit très élégamment : « les Juifs en Amérique n’étaient pas très heureux parce qu’ils avaient une aversion pour un quelconque arrangement avec l’Allemagne[19]».
Dans son livre « Ma mission en Europe » le sous-secrétaire d’État américain Summer Welles donne un exemple de cette « aversion ». Il raconte que le 17 novembre 1938, il a reçu un coup de téléphone de l’ambassadeur anglais à Washington. Sur instruction de son gouvernement, l’ambassadeur disait à Welles que le parlement britannique avait résolu de réserver la moitié de son quota d’immigration pour les seuls Juifs d’Allemagne. Évidemment, l’ambassadeur attendait une proposition équivalente de la part des États-Unis. M. Wells a été dans l’obligation de lui répondre que l’ambassadeur ferait mieux de ne plus y penser. D’abord, ce n’était pas dans les attributions de Welles de fixer les quotas d’immigration. Deuxièmement, à peine deux jours plus tôt, le 15 novembre 1938, lors d’une conférence de presse, le président américain avait expressément souligné qu’il n’avait pas la moindre intention d’augmenter les quotas d’immigration en provenance d’Allemagne. Welles ajoute que son impression personnelle était que des dirigeants juifs américains, fermement opposés à l’augmentation de l’immigration en provenance d’Allemagne, étaient derrière cette décision[20].
Texte de l’accord Rublee – Wohlthat
Comité intergouvernemental
1 Central Buildings, Westminster
London SW1
Février 1939
Le Directeur, M. George Rublee
Cher M. Wohlthat :
J’ai eu l’honneur d’avoir des conversations avec le Dr. Schacht et vous-même. Afin que je ne commette pas d’erreur dans le compte-rendu de ces conversations, je vous serais très obligé si vous aviez l’amabilité de confirmer si le mémorandum ci-dessous, strictement confidentiel, est juste.
Mémorandum strictement confidentiel :
L’Émigration des Juifs d’Allemagne
Il a été établi que l’Allemagne était disposée à adopter une politique qui encouragerait par tous les moyens une émigration organisée des Juifs. Un programme, selon des lignes ci-dessous précisées, sera mis en œuvre sitôt que l’Allemagne aura reçu l’assurance que les pays d’immigration sont disposés à recevoir les Juifs actuellement en Allemagne en conformité avec ce programme. Si ce programme est mis en application – et sa mise en œuvre serait grandement facilitée par une amélioration dans l’atmosphère des relations internationales, l’émigration aura lieu d’une manière régulière et ordonnée.
1 – Organisation de l’émigration
Un. Ce programme traite exclusivement des Juifs de nationalité allemande ou des Juifs apatrides résidant en Allemagne. Le terme « Juif », partout où il est utilisé dans ce mémorandum, est entendu au sens donné par les lois de Nuremberg, détaillé ci-dessous :
(1) Un Juif est une personne qui a trois ou quatre grands-parents juifs. Un grand-parent est présumé Juif si lui ou elle embrasse la religion juive.
(2) Une personne est également présumée juive si elle a deux grands-parents juifs et si, au 16 septembre 1935, elle était de confession juive, ou si elle a embrassé la religion juive par la suite ou si, ayant deux grands-parents juifs, elle s’est au 16 septembre 1935, ou par la suite, mariée à une personne juive.
Deux. Il y a environ 600 000 Juifs résidant en Allemagne y compris l’Autriche et le pays sudète dont 150 000 sont classés comme salariés. Le restant étant essentiellement constitué des personnes âgées ou infirmes et qui pour cette raison ne sont pas incluses dans ce programme.
Trois. La catégorie des salariés est constituée de tous les hommes et femmes célibataires âgés de 15 à 45 ans qui sont individuellement capables de gagner leur vie et qui sont par ailleurs aptes à émigrer.
Quatre. La catégorie des personnes à charge est constituée par le foyer immédiat du salarié à l’exclusion des personnes âgées (personnes de plus de 45 ans) et des handicapés.
Cinq. Les salariés doivent émigrer les premiers, dans le cadre de contingents annuels sur une période de trois à cinq ans maximum.
Six. Toutes les personnes de la catégorie des salariés définie ci-dessus seront reçues par les gouvernements d’accueil en accord avec leurs lois et pratiques établies en matière d’immigration.
Sept. L’organisation pratique de l’émigration se fera avec la participation d’un service représentant les Juifs d’Allemagne et sous l’égide d’un commissaire désigné par le gouvernement allemand.
Huit. Le service organisant l’émigration pourra se faire assister par des experts étrangers représentant des organismes privés externes concernés par l’immigration et jouissant de la confiance des gouvernements d’accueil à condition que ces experts soient agréables au gouvernement allemand.
Neuf. Des passeports seront fournis aux personnes émigrant d’Allemagne dans le cadre de cet accord. Les personnes apatrides se verront fournir des papiers d’émigration adaptés.
Dix. Les conditions qui ont conduit à la détention de Juifs – autres que les personnes détenues pour raison d’ordre public – dans des camps devront automatiquement être levées si un programme d’émigration organisée est mis en place.
Onze. Des structures devront être prévues pour la reconversion des salariés en vue de l’émigration , notamment des centres de formation agricoles mais aussi dans l’artisanat. La formation devra être encouragée.
Douze. L’émigration des personnes à charge aura lieu quand le salarié sera installé et capable de les recevoir.
2 – Situation des personnes restant définitivement en Allemagne
Treize. Le protocole de prise en charge des personnes âgées et des personnes inadaptées à l’émigration lesquelles ne sont pas incluses dans ce programme d’émigration et sont autorisées à finir leurs jours en Allemagne n’est pas encore arrêté. Il est dans l’intention de la partie Allemande de s’assurer que ces personnes ainsi que les personnes en instance de départ puissent vivre tranquillement à moins que des circonstances exceptionnelles se produisent. Il n’y a pas d’intention de mettre à par les Juifs. Ils pourront circuler librement. Les personnes capables de travailler se verront proposer des opportunités d’embauches afin qu’elles puissent gagner leur vie. Les Juifs employés dans les mêmes établissements que les Aryens, seront, néanmoins séparés des travailleurs Aryens. De façon générale, dans le but de favoriser une bonne administration du programme, il est envisagé une centralisation du contrôle des affaires juives.
Quatorze. Les pensions alimentaires des personnes citées au paragraphe 13 ci-dessus, qui ne sont pas capables de subvenir à leurs besoins, seront financées en première instance sur les propriétés juives en Allemagne en dehors de celles qui sont placées dans le fonds (décrit ci-après) et des revenus de ce fonds. Si les ressources ci-dessus ne sont pas suffisantes, on apportera à ces personnes des conditions de vie décentes au point de vue matériel en accord avec ce qui se pratique en général envers les personnes indigentes. Il ne sera pas fait recours à des ressources extérieures pour assurer la prise en charge de ces personnes.
3 – Financement de l’émigration
Quinze. Dans le but de financer l’émigration qui est projetée dans le programme, un fonds fiduciaire va être créé d’un montant à déterminer mais qui sera au minimum de 25% de l’actuelle richesse des Juifs en Allemagne, ce qui, si des possibilités de transferts sont trouvées, représentera une hausse substantielle du taux actuel des transferts. À l’heure actuelle, le restant des capitaux juifs en Allemagne est entre les mains de propriétaires individuels. La manière dont le fonds fiduciaire sera doté du montant requis n’a pas encore été arrêté.
- Source : Jeune Nation