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Dimanche, 22 Déc. 2024

#Pasdevague

Auteur : Cincinnatus (et sa maman) | Editeur : Walt | Mardi, 30 Oct. 2018 - 21h25

(Ce billet est issu d’un fil publié sur mon compte twitter le 23 octobre 2018, ici réécrit et augmenté, y compris par les commentaires de la principale intéressée : merci à elle !)

Le mouvement #pasdevague qui fait actuellement le « buzz » me touche particulièrement. Ma mère était prof de math-sciences (mathématiques, physique et chimie) en LEP (lycée d’enseignement professionnel), devenus entretemps LP (lycée professionnel) par l’effet d’une de ces réformes que les (ir)responsables temporaires de la rue de Grenelle se croient obligés de pondre pour marquer l’Histoire de leur empreinte, bien plus intéressés par cette illusion de postérité que par l’écoute des agents de leur administration.

Elle a pris sa retraite dès qu’elle a pu, il y a dix ans, alors même qu’elle n’avait pas assez d’ancienneté pour l’avoir à taux plein (entrée tard dans la carrière). Elle aurait aimé continuer encore quelques années mais l’écœurement l’a emporté.

Les élèves de plus en plus difficiles ?
Elle est passée de 2 ou 3 cas très graves par classe quand elle a commencé à une majorité écrasante dans toutes ses classes les dernières années, pendant lesquelles elle a connu quotidiennement les psychopathologies les plus diverses, les bêtises les plus improbables, les incivilités les plus insupportables, et jusqu’aux délinquants multirécidivistes.
Et pourtant, elle s’en sortait grâce à son expérience et à la solidarité des « équipes pédagogiques » – novlangue pour parler des collègues qui se soutiennent face à l’adversité.

Les parents d’élèves indélicats ?
À côté des parents sincèrement impliqués et respectueux, les comportements consommateurs se sont petit à petit généralisés, un nombre croissant considérant qu’ils « payaient les profs avec leurs impôts », ce qui les autorisait à en exiger tout et n’importe quoi.
Et pourtant, elle continuait, coûte que coûte, à les convoquer, à passer des soirées entières dans ces réunions où elle acceptait de se transformer pour l’occasion en psychologue ou assistante sociale.

"Des parents dépassés, ou violents, ou absents, ou indifférents, ou faibles, ou même agressifs et cherchant des boucs émissaires : « c’est la faute du prof »… Est-ce qu’un des nombreux problèmes n’est pas justement le manque d’écoute et d’exemple parental ? Un enfant dont on s’occupe peut devenir un ado puis un adulte responsable qui réfléchit. Et pour cela il faut qu’il apprenne d’abord dans sa famille le goût du travail, la politesse et le respect des autres, l’entraide et la volonté de réussir… ; c’est difficile d’être un Parent et encore plus de se remettre en question mais ça en vaut la peine".

Les conditions déplorables ?
Chauffage régulièrement en panne, matériels insuffisants et en mauvais état, locaux vétustes voire insalubres… la question des moyens n’est certainement pas superfétatoire comme le prétendent les petits comptables à l’esprit de calculette.
Et pourtant, elle se débrouillait en bricolant et en achetant ce dont elle avait besoin sur ses deniers personnels.

Les idéologues pédagogos ?
Ces imbéciles arrogants et prétentieux, qui parfois n’ont pas vu un élève depuis de très nombreuses années, sont toujours aussi nuisibles, que ce soit devant une classe, dans les colloques où ces cuistres déblatèrent leur idéologie exécrable, ou dans les vestibules ministériels qu’ils hantent de leur morbide influence.
Et pourtant, elle s’en faisait une raison, oscillant entre agacement et moqueries… même si elle se laissait régulièrement aller à pester contre ces « faux profs incapables d’enseigner mais qui détruisent l’école ».

L’incurie des politiques ?
Les suppressions de postes accompagnant chacune de ces fameuses « réformes » ineptes et l’abandon de la profession ne laissaient guère d’espoir.
Et pourtant, ses parents gaullistes lui avaient transmis un intérêt profond pour la politique, à proportion de la déception que les gouvernants lui inspiraient et, irritée mais lucide, elle leur renvoyait son mépris et faisait malgré tout son métier « pour les gosses », comme elle disait.

L’opinion publique ?
La haine de la fonction publique et, en particulier, la morgue anti-prof, s’exprimaient déjà ouvertement, faisant passer l’école pour une garderie tenue par des feignants de fonctionnaires toujours en vacances, en grève ou en arrêt maladie.
Et pourtant, lorsqu’elle devait affronter la condescendance des crétins, elle ne se départait pas de sa seconde nature de prof et, encore et encore, elle expliquait son métier, ce qu’il signifiait, ce qu’il avait à la fois de très noble et de très artisanal, l’articulation de la compétence disciplinaire et de l’art pédagogique (à l’opposé de la pseudo-science des pédagogos), etc. etc.

"Ces fantassins de l’Éducation nationale sont méconnus, transparents, vilipendés, méprisés alors qu’ils font un travail difficile mais plein de dévouement, de petites réussites, de petits bonheurs, d’émotions, de complicités, de rires avec ces enfants qui nous sont confiés. Et quand des années plus tard un enseignant rencontre d’anciens élèves dans la rue, dans un magasin, et qu’ils viennent lui tapoter l’épaule pour dire « je suis heureux de vous voir pour vous dire merci, avec vos collègues vous m’avez sauvé ; je devenais un voyou et j’ai maintenant un bon travail, une famille, parce que vous m’avez appris le travail et le respect… » alors il peut se dire « j’ai été utile ». Et ce sont des milliers d’enseignants qui font ce travail jour après jour, et qu’on devrait remercier, respecter, aider, féliciter pour leur dévouement".

En vérité, tout cela conjugué a contribué à l’user au quotidien.
Mais ce qui a achevé sa volonté à tel point que c’est elle qui m’a dissuadé d’être prof ?
Les trahisons répétées, systématiques, assumées de ses directions successives dont le mantra, à l’époque déjà, était : « surtout pas de vague ». C’était l’expression qu’elle employait toujours et la lire aujourd’hui sur les réseaux sociaux sous la forme #pasdevague me bouleverse.
Leur renoncement à l’autorité, leur abandon des profs et leur démagogie l’ont écœurée. Les exemples s’accumulaient à fréquence croissante : au début, une faiblesse de temps en temps, puis les veuleries réitérée, et enfin presque chaque semaine ou même chaque jour une nouvelle turpitude – de l’anecdote en apparence anodine mais à la répétition usante, au comportement délictueux voire criminel. Les chefs d’établissement qui, en début de carrière, assuraient un rempart protecteur pour assurer la liberté et l’autorité des enseignants, ont laissé la place à des petits politiciens de 3ème catégorie effrayés par leur ombre et préférant la coupable complicité avec les bourreaux à la défense des victimes, que celles-ci fussent profs ou élèves.

Quand elle retrouve ses collègues plus jeunes avec qui elle demeure très liée, elle enrage : « aujourd’hui, je ne sais pas comment ils tiennent, moi je n’y arriverais plus. » C’est ce qu’elle me dit à chaque fois. Elle qui aimait tant son métier ne voudrait plus l’exercer dans ces conditions : tout ce qu’elle dénonçait il y a quinze-vingt ans, n’a fait qu’empirer dans l’indifférence et la complicité générales.
Je vois les crétins habituels répondre : « ah mais si ça fait vingt ans que ça dure, c’est que ce n’est pas si grave ! », et de cligner de l’œil comme les derniers hommes du Zarathoustra. Comme si la durée du phénomène était une circonstance atténuante ! Mais au contraire : on a collectivement laissé l’école pourrir en abandonnant les profs pendant des décennies ! Circonstance AGGRAVANTE !
Je vois les pédagogos, en grande partie coupables de cette situation criminelle, geindre : « ceux qui se plaignent sur #pasdevague sont des fachos ». Alors qu’ils devraient se couvrir le visage de cendres et disparaître !

Retraitée épanouie et heureuse, ma mère plaint sincèrement les collègues et « les gosses », comme elle aime les appeler. Surtout, elle craint l’avenir et ne voit pas comment l’école peut s’en sortir. C’est elle qui m’a transmis son amour pour l’école, pour la culture, pour l’instruction. Elle qui m’a appris ce qu’était la vocation de l’école – oubliée à force de renoncements et d’idéologie.


- Source : CinciVox

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