www.zejournal.mobi
Dimanche, 22 Déc. 2024

La France n'est plus en démocratie mais en régime Système

Auteur : Bernard Dugué | Editeur : Stanislas | Vendredi, 09 Août 2013 - 13h23

Depuis les péripéties du traité européen, du TCE rejeté en 2005 au traité de Lisbonne tout aussi illisible, les citoyens français qui réfléchissent crient leurs colère face à une démocratie piétinée. Encore faut-il réfléchir avec les bonnes données. Ce prétendu camouflet infligé au peuple français par Nicolas Sarkozy à Lisbonne s’avère plutôt symbolique. Si la démocratie est en défaut, cela tient à des dispositions plus drastiques et du reste parfaitement accessibles pour qui veut bien lire les documents officiels. Dans une démocratie intégrale, le minimum serait que le droit soit voté par le Parlement et que le gouvernement fasse exécuter les lois. Or, la constitution de 1958 prévoit que le gouvernement puisse déroger à ce principe à travers la possibilité, notamment avec l’article 34 qui limite les domaines d’intervention du Législateur alors que le gouvernement est libre d’user de son pouvoir réglementaire avec arrêtés et décrets. Ensuite, dans la pratique, la plupart des lois ne sont pas issues d’une initiative parlementaire mais proposées par l’exécutif. Allez, on ne va pas pinailler, puisque l’exécutif est sous l’autorité d’un chef suprême que les Français élisent au suffrage universel. Mais bon, ce Parlement de godillot agace quand même le démocrate. Notons quand même quelques lois initiées par des parlementaires et qui portent leur nom. Neuwirth pour la contraception, Carrez pour la surface des logements.

Mais la plus grande entorse à la démocratie, c’est l’abandon de souveraineté législative consécutive à l’application des directives européennes qui doivent être transposées par le Parlement pour qu’elles s’inscrivent dans le droit français. Cela signifie que des instances non élues, celles de la Commission européenne, peuvent décréter des textes de droit qui de facto sont transposées de manière automatique sans qu’ils ne soient débattus par nos élus du Parlement. Les plus radicaux diront que nous sommes dans un système totalitaire ou plus modérément, dans une sorte de despotisme éclairé depuis Bruxelles.

La démocratie souffre de quelques entorses qu’on trouvera dans les petits détails, là où se loge le diable. Il fut un temps où les ministres avaient à leur disposition des fonds spéciaux qu’ils pouvaient utiliser de manière discrétionnaire. Ainsi, nombre de hauts fonctionnaires dans les cabinets ont pu bénéficier de fonds occultes, avec des revenus soustraits au fisc. Ce dispositif a perduré pendant des décennies avant d’être abrogé par le gouvernement Jospin. C’est étrange comme les gouvernants savent transgresser les règles de l’Etat de droit. Un chef d’entreprise qui ferait de même en octroyant des dessous de table à ses cadres serait passible des tribunaux. Alors je me demande si les dirigeants et les élus ont dans leurs gènes une authentique et sincère culture démocratique.

On peut en douter, au vu des récentes informations livrées sur les fonds spéciaux du Parlement. Nos députés ont à leur disposition des fonds leur permettant de subventionner de manière discrétionnaire des collectivités locales ou des associations relevant de leur circonscription ou parfois de choix personnels comme par exemple Laurent Fabius allouant des fonds dans une commune d’Ariège où il possède une résidence secondaire. Dans une pratique républicaine, ce type de mesure fait l’objet de débats publics. Il suffit d’assister à une séance de conseil municipal pour vérifier que le moindre euro alloué à une association est discuté publiquement. Mais lorsqu’il s’agit des fonds spéciaux parlementaires, le fait du prince prévaut. Et l’on peut soupçonner une entorse à l’équité des candidats dans les élections en supposant que ces fonds versés à des associations sont implicitement assortis d’une connivence électorale. Ce qui fait inévitablement penser aux pratiques d’une république bananière.

Nous venons de constater quelques éléments de la face éclairée des pratiques anti-démocratiques parfaitement assumées par les gouvernants. A côté, il y a la face cachée avec des affaires dont je ne peux pas parler car elles se déroulent dans la face cachée des connivences politiques et que je ne les connais pas puisqu’elles sont cachées. Parfois, elles parviennent au grand jour grâce à des investigations de reporter ou plus souvent des fuites organisées. Ne soyons pas dupes, le journalisme à la Watergate est une exception. Les infos ne sont pas cherchées par les journalistes, car ce sont plutôt les infos qui cherchent les journalistes. Mais on ne va pas pinailler, même si parfois on a le sentiment que les médias nous jouent la comédie de la transparence. La face cachée dévoilée tient parfois à un informateur, une fuite, comme pour l’affaire Cahuzac, avec ensuite un travail d’enquête, ou alors un épisode malencontreux et improbable dans une chambre de l’hôtel Sofitel.

Bref, tous ces éléments tendent à nous persuader que nos élites n’aiment pas trop la démocratie même s’ils jurent le contraire dans les médias. La démocratie, c’est la participation du peuple et des citoyens aux décisions publiques. Les dirigeants n’aiment pas trop que le peuple se mêle des affaires publiques jusqu’à aller contester certaines pratiques du pouvoir et même quelques formes du pouvoir. Frondes contre le Larzac, Nôtre Dame des Landes, les lignes LGV inutiles. Je suis convaincu que nombre d’élus apprécient la démocratie pour ses avantages matériels, pour le plaisir du pouvoir, d’entendre du monsieur le président, le député, le maire… pour le fun d’apparaître dans l’écran, les journaux, ou de parler à la radio puis de procéder à des inaugurations. Mais les élus n’aiment pas forcément que les citoyens se mêlent des décisions et s’immiscent dans les choix politique. Pour les élites du monde industriel, aucun doute, ces gens n’aiment pas trop la démocratie sauf si elle tourne à leur avantage, en se calquant sur le dialogue social.

Définition du dialogue social : négociation serrée entre deux parties qui presque toujours tourne à l’avantage du plus fort.

Maintenant, si l’on examine le cas des citoyens, gageons que les classes supérieures, souvent imprégnée de culture des parvenus et de narcissisme, se sentent quelque peu distinctes du bas peuple tout en prisant une version de la démocratie qui tourne à leur avantage. Quant aux citoyens de classe moyenne, une faible portion revendique son droit de visite sur les chantiers de la vie politique, car cela demande du temps et aussi un effort pour se documenter afin de prendre en défaut les décisions publiques contraires à l’intérêt général.

Ces considérations conduisent à interroger le politique en examinant la possibilité d’une transition de régime advenue progressivement depuis quatre décennies, voire même six, avec une accentuation depuis 1990. Comme d’autres pays, la France aurait alors pris quelques distances avec la démocratie représentative pour adopter un régime système. Dans ce type de régime, la société est composées de strates organisées et d’ensembles systémiques qui sont antagonistes mais qui se co-régulent pour donner au final un régime stabilisé mais subissant en permanence des instabilités que les observateurs appellent crises. Les élections et les médias de masse constituent des régulateurs du système mais aussi des dispensateurs d’humeurs et de goût. Celui qui plaît au peuple sera élu, même s’il n’est pas à la hauteur.

Dans le régime système, plusieurs composantes persistent ; la démocratie dans les régimes ayant choisi ce mode de gouvernance, l’Etat de droit aussi. Mais l’on voit se dessiner quelques abus autoritaires et sécuritaires. L’Etat de droit est menacé, aux Etats-Unis, et peut-être aussi dans les pays européens. On voit notre police républicaine mener quelques opérations d’intimidation, quelque fois dans les cités et d’autres fois dans les transports en commun ou bien les véhicules privés investis par les pattes d’un chien renifleur en quête de quelques grammes d’herbe qui fait rire. En Amérique, Jimmy Carter, un homme d’Etat sérieux, vient d’affirmer que les Etats-Unis ne sont plus un régime démocratique. C’est bien possible, si l’on cumule la surveillance de la NSA, les actions « inamicales » de la police, Guantanamo et d’autres privations de droit et pour finir, les drones qui tuent des gens jugés coupables sans procès. Dans le régime système, les libertés reculent au profit des régulations sécuritaires et des normes systémiques qui peuvent être scientifiques, , techniques, idéologiques ou religieuses.


- Source : Bernard Dugué

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...