Que penser de l'université d'été d'Attac?
L’association altermondialiste ATTAC a tenu en juillet 2013 à Nîmes son université d’été. Le thème choisi était « Ruptures et transitions. Le temps est venu ». Alléché par ce titre prometteur j’ai participé de bout en bout aux 4 journées de conférences et de débats. Quoi de neuf sous le soleil altermondialiste ?
L’euro
Notre appartenance à la zone euro nous condamne à l’austérité sans fin et sans rivage avec tous les désastres économiques et sociaux qu’engendre l’austérité. Nous savons tous que l’état de nos finances publiques continue à s’aggraver et que le sort de la Grèce nous menace. Mais si quelques intervenants ont envisagé voire souhaité que la France sorte de la zone euro et si ATTAC n’a pas pu éviter complètement un court débat sur ce point, elle refuse toujours obstinément toute rupture avec l’euro et tout retour au franc.
L’Union européenne
ATTAC n’a jamais été aussi critique envers l’U.E.. Il y a quelques années elle considérait l’intégration européenne comme un projet initialement louable et qui aurait par la suite malheureusement dérivé entre les mains de dirigeants maladroits ou malintentionnés. ATTAC sur ce point est devenue plus lucide.
La plupart des conférenciers et des intervenants ont admis que l’union de l’Europe occidentale a été dès l’origine, avec le soutien des USA, non une œuvre de paix mais une machine de guerre pour contenir et repousser le bloc soviétique et d’autre part une alliance contre les travailleurs, pour empêcher tout basculement d’un pays occidental dans le camp socialiste.
De plus certains conférenciers ont démontré que les institutions européennes, outre qu’elles ignorent l’indispensable séparation des pouvoirs, ont été conçues dès l’origine pour tenir les peuples à l’écart des décisions et que les députés européens forment un parlement croupion dont la seule raison d’être est de donner une façade démocratique à une construction radicalement oligarchique et illégitime.
Enfin conférenciers et intervenants ont presque tous convenu que l’Union européenne n’est pas réformable. J’étais loin de m’attendre à cet aveu.
On devrait en conclure que rester dans l’Union européenne c’est donc renoncer à toute démocratie, à toute justice sociale, à toute indépendance envers les USA et l’OTAN et donc à toute diplomatie de paix. Mais seuls de rares conférenciers non membres d’ATTAC et quelques intervenants ont souhaité que la France quitte l’Union européenne. L’U.E. est inacceptable, la changer est impossible mais ATTAC veut pourtant y rester.
Le libre-échange
Il n’y a pas si longtemps, le libre-échange était considéré par ATTAC comme une fraternelle ouverture aux autres, une composante indispensable de l’internationalisme. Ces naïvetés de bibliothèque rose ont vécu. Ces dernières années ATTAC a pris conscience que le libre-échange n’est rien d’autre que le libéralisme dans le commerce international, la jungle dans les échanges entre nations, une jungle qui permet aux plus compétitifs de ruiner tous les autres. Invité comme conférencier François Ruffin ( du périodique « Fakir ») a finement remarqué que le libre-échange punit la vertu et récompense le vice. Les plus compétitifs sur le marché mondial sont en effet les plus vicieux :
paradis fiscaux, adeptes du secret bancaire, Etats policiers qui traquent les militants ouvriers, traitent les salariés comme des esclaves, sacrifient leur environnement à la rentabilité industrielle, etc.
Les pays socialement et écologiquement en pointe sont donc obligés, s’ils acceptent le libre-échange, de renoncer à leurs avancées et de s’aligner sur les plus pervers pour devenir compétitifs. J’ajoute que les frontières sont à un pays ce que la peau est au corps humain. Notre peau contrôle les échanges entre notre organisme et le monde extérieur. Elle laisse passer ce qui est salutaire (la sueur, par exemple) et fait barrage à ce qui est nocif , par exemple l’eau chargée de microbes quand nous prenons un bain de mer. Un pays qui détruit ses filtres douaniers au profit du libre-échange est comparable à un être humain qui accepterait d’être écorché vif.
La seule alternative au libre-échange est le rétablissement des barrières douanières, le protectionnisme. Il n’y a pas de troisième voie. Une minorité grandissante au sein d’ATTAC veut rompre avec le libre-échange mais l’association et surtout ses dirigeants restent globalement hostiles au protectionnisme.
ATTAC se veut de gauche, flétrit continuellement le capitalisme et le libéralisme mais en rejetant les barrières douanières elle reste dans le camp libre-échangiste, donc dans le camp du libéralisme qui est l’idéologie des grandes firmes transnationales. Les penseurs d’ATTAC ne semblent pas torturés par cette incohérence.
La finance
Depuis 2008 – naissance de la crise financière – la plupart des citoyens ont découvert la malfaisance, la perversité profondes de la sphère financière. La moraliser est impossible. La dérégulation, la mondialisation ont rendu la finance incontrôlable. Les Etats ne peuvent plus rien contre elle. C’est elle qui domine, contrôle, asservit les Etats. Rassurer, satisfaire les marchés financiers est devenu l’obsession des gouvernements qui se laissent ainsi quotidiennement dicter leur conduite par la finance. Il faut pourtant en finir avec les paradis fiscaux, le secret bancaire, le blanchiment d’argent sale, l’évasion fiscale. Pour garantir la transparence, mettre fin aux trafics immoraux, soumettre la finance aux Etats, à la puissance publique, à la souveraineté populaire, il est indispensable de nationaliser les banques et les compagnies d’assurance.
Déjà en 1944 dans son programme, le conseil national de la résistance qui pourtant avait bien moins que nous expérimenté la perversité financière, exigeait la nationalisation des compagnies d’assurance et des grandes banques. Par chance, les traités européens n’interdisent aucune nationalisation. C’est la seule action décisive que nous puissions entreprendre sans avoir besoin d’une autorisation de Bruxelles. C’est donc à notre portée. En 2013, en cette sixième année de crise financière, comment se fait-il que les citoyens, les syndicats, les associations ne se soulèvent pas pour exiger cette nationalisation ?
Pourtant dans les réunions plénières et dans les nombreux ateliers consacrés par l’université estivale d’ATTAC à la finance et à la monnaie, personne à part moi n’a réclamé cette nationalisation. Consternant. ATTAC peut-elle se contenter d’observer l’activité des banques, leur lobbying à Bruxelles et de dénoncer leurs forfaits ? Susan George, figure de proue de l’altermondialisme, nous a présenté comme « admirable » l’ONG « finance watch », simple observatoire de la finance, sans être gênée par le fait que cette ONG est partiellement financée et donc tenue en laisse par la commission de Bruxelles.
Conclusion
Comment expliquer qu’ATTAC recule devant toutes les ruptures qu’exige la crise du monde contemporain ? Si on s’en tient aux discours oraux ou écrits d’ATTAC on pourrait croire que son ennemi principal est le capitalisme néo-libéral. Erreur. Les vraies bêtes noires de l’altermondialisme sont les nations et le nationalisme, considérés comme l’horreur suprême, le mal pur. Peter Wahl, membre fondateur de la section allemande d’ATTAC, invité comme conférencier à l’université estivale, s’est vanté au micro de n’avoir jamais chanté l’hymne allemand et de systématiquement soutenir, lors des matches de foot, l’équipe étrangère opposée à l’équipe allemande. Il fut chaleureusement applaudi. Les militants d’ATTAC, ONG mondiale, mettent leur fierté à rejeter tout patriotisme et se veulent citoyens du monde. Un altermondialiste est par définition amoureux de la mondialisation dont il ne critique que le caractère libéral. Il croit, comme on croit au père Noël, qu’un « autre monde », une autre mondialisation, sont possibles.
L’ennui est que, sans la destruction libérale des frontières par le libre-échange, la mondialisation n’existerait pas. Telle est la contradiction fondamentale qui paralyse ATTAC et l’empêche de faire les choix qui s’imposent. Sortir de l’euroland et de l’U.E. , rétablir aux frontières des protections douanières est devenu indispensable mais ce serait une rupture avec l’intégration européenne et la mondialisation très chères toutes deux à ATTAC. Nationaliser le secteur financier est tout aussi indispensable mais ce serait une issue nationale à la crise mondiale de la finance. ATTAC ne peut rien objecter à cette nationalisation mais répugne affectivement à une solution « nationaliste » de la crise financière.
J’aimerais qu’ATTAC réfléchisse à ce qui suit :Rien n’est aussi mondial que l’environnement. Le soleil, le vent, les fleuves, les courants marins, les migrations des oiseaux, les secousses sismiques et le climat ignorent totalement les frontières humaines.
Pourtant les écologistes les plus lucides ont depuis longtemps compris que les problèmes mondiaux doivent être résolus localement. Penser globalement, planétairement mais décider et agir localement est leur devise. Car c’est à l’échelon local qu’avec le minimum d’effort on obtient le maximum de résultats. Comme le préconise Pierre Rabhi, soyons tous des colibris accomplissant chacun notre petite tâche locale. Ce sont des milliards de colibris déversant tous, là où ils vivent, leur becquée d’eau sur les flammes qui pourront éteindre l’incendie planétaire. Cultivons chacun écologiquement notre jardin. C’est la meilleure contribution possible à la bonne santé de la planète. Ne gaspillons pas une précieuse énergie et ne multiplions pas les gaz à effet de serre en nous déplaçant sans cesse en foule de Seattle à Cancun et de tous les sommets altermondialistes à tous les forums mondiaux. Nous savons tous dans quel sens les comportements doivent changer pour sortir de la crise. Changeons donc de comportement.
Ce sont les firmes multinationales qui ont imposé la destruction des frontières, le libre-échange, l’intégration européenne, l’euro et la mondialisation libérale pour disposer d’un immense marché à leur dimension où ces firmes apatrides puissent se déployer et trafiquer sans entraves. Cette mondialisation, loin d’être souhaitable, uniformise l’humanité, détruisant cette inestimable richesse qu’est la diversité culturelle. La mondialisation détruit aussi toute souveraineté populaire car l’intervention citoyenne, le contrôle des électeurs sur les élus, la participation des citoyens aux décisions publiques, la démocratie directe, ne sont possibles qu’à l’échelle locale. ATTAC a évolué et évoluera sans doute encore. Elle finira tôt ou tard par rompre avec son amour de jeunesse : l’euromondialisme. Le plus tôt sera le mieux.
- Source : Robert Clavijo via Comité Valmy