La marquise de Monsieur François Hollande : 2e conférence de presse présidentielle
« Tout va très bien, Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien. Pourtant, il faut, il faut qu’on vous dise. On déplore un tout petit rien : un incident, une bêtise. (…) Si l’écurie brûla, Madame, c’est que le château était en flammes. Mais, à part ça, Madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien… »
La chanson de Ray Ventura a résonné dans les oreilles des journalistes pendant près de trois heures ce jeudi 16 mai 2013 au Palais de l’Élysée. La précédente avait eu lieu le 13 novembre 2012. Le pli est fait, ça y est, le rythme est pris, le Président de la République François Hollande fera une conférence de presse solennelle tous les six mois, au grand plaisir des ego du tout-Paris journalistique …et de son propre ego.
Monarchie médiatique
Une conférence de presse à l’ancienne, devant tous ses ministres qui écoutent studieusement jusqu’à l’interminable fin, avant de passer au service après-vente sur les chaînes d’information continue. Tout le gouvernement, la plupart des ministres s’y sont ennuyés mais quelques-uns ont eu l’honorable privilège d’être cités personnellement par le chef de l’État, comme Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici, Manuel Valls et Christiane Taubira.
On s’est retrouvé directement projeté cinquante années en arrière, à l’époque des fameuses conférences de presse de De Gaulle. Les lustres sont toujours aussi brillants. Seule, la gouaille littéraire et militaire a laissé place à une pâle imitation de la voix mitterrandienne aux intonations monocordes et endormantes.
La position debout, déjà en vogue à l’époque sarkozyenne, permet de replacer le Président de la République, réputé pour sa mollesse et son indécision, dans une position volontaire et offensive (il a même employé le terme "offensif", c’est aussi le mot-clef du service après-vente) mais le décor en arrière-plan, un joli rideau rouge donnant sur une fenêtre portée vers le jardin lumineux apportait une touche quasi-romantique à cet exercice de communication politique assez pénible.
Autosatisfaction
Sept semaines à peine après sa longue intervention chez David Pujadas, François Hollande n’avait presque rien à dire de nouveau, mais il l’a dit avec jubilation et une autosatisfaction qui faisait plaisir à voir, si ce n’est en période de grave crise économique. Le tribun a remplacé le responsable. Il aime à l’évidence s’écouter et il était heureux d’être devant ce parterre si attentif et respectueux. Cinquante minutes d’exposé introductif et une heure cinquante de réponse aux questions des journalistes accrédités.
Dans son introduction, François Hollande a été très ennuyeux, lisant (mal) son texte, sans conviction, avec son ton très agaçant emprunté de François Mitterrand version campagne présidentielle. Certes, il a fait une annonce intéressante, et même révolutionnaire, celle de demander un gouvernement économique de la zone euro (voir plus précisément à la fin de cet article). Cela ne mange pas trop de pain tant qu’on ne rentre pas dans les détails institutionnels, c’était d’ailleurs une proposition ancienne de la Chancelière allemande Angela Merkel et la situation actuelle des opinions publiques au sein de l’Union Européenne ne donne pas beaucoup d’espoirs dans ce domaine.
C’est donc du volontarisme à bon compte, qu’on peut saluer mais au même titre qu’on pouvait saluer la revendication de relancer la croissance avec un budget européen en baisse et une position de mauvais élève (l’élève Hollande redouble deux fois son année, le déficit limité à 3% du PIB prévu pour 2013 est relégué à 2015, avec l’approbation du jury visité la veille à Bruxelles).
Que dire de plus de nouveau ? Rien. Juste le sourire spontané qu’il n’a pas réussi à brider pendant les questions, celui de la joie d’être aujourd’hui à cette place. Une joie qui est bien évidemment compréhensible quand on imagine le nombre de personnages politiques qui ont voulu sa place et n’y sont pas parvenus, comme Michel Rocard, Jacques Delors, Lionel Jospin, Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal dans son camp.
Le courage, c’est le mariage gay
À propos de Ségolène Royal, justement, une question portait sur le courage en politique ; quelle sera la réforme la plus courageuse du quinquennat ? Son ancienne compagne venait juste de sortir un livre autopromotionnel sur "La belle idée du courage". On aurait pu croire qu’il aurait parlé de la rigueur budgétaire, ou de la réforme des retraites, ou encore de l’indispensable simplification des multicouches territoriales (son binôme cantonal venait juste d’être approuvé par le Conseil Constitutionnel). Rien de tout cela, il a cité la seule réforme qu’il a menée à peu près à bien (il reste encore l’avis du Conseil Constitutionnel dans quelques jours qui ne devrait pas trop l’effrayer), le mariage pour les couples homosexuels.
Sur ce sujet, il a d’ailleurs fait un grand contresens sur ce qu’est le mariage en parlant des revendications des couples homosexuels de reconnaissance de leur amour. Or, l’État ne s’est jamais occupé de ce qu’il se passe sous la couette, et si aujourd’hui, le mariage et l’amour sont identifiables et associés, tous les cas restent permis (se marier sans s’aimer, s’aimer sans se marier) et le mariage n’a jamais été une reconnaissance d’un quelconque amour qui ne regarde que la sphère intime.
Des ordonnances pour s’opposer à des recours supposés abusifs
François Hollande a confirmé le recours aux ordonnances (sans les justifier vraiment), notamment pour encourager la construction de logements, et, stupeur, le Président de la République a précisé une statistique surprenante : 35 000 logements seraient en retard de construction en raison de supposés recours abusifs. Recours "abusifs" !
Mais qu’est-ce qui lui permet de juger que ces recours soient "abusifs", tant qu’ils ne sont pas instruits ? S’il existe des cadres et une réglementation, c’est justement pour protéger les citoyens, protéger ceux qui pourraient être lésés par une construction. Ce type de décision est du même ressort que la volonté de Nicolas Sarkozy de passer outre aux risques d’inondation (mais une catastrophe naturelle en Vendée l’en a finalement dissuadé).
Trois réformes structurelles en préparation
Comme perspective pour l’année qui vient, François Hollande a annoncé trois réformes : le (fameux) choc de simplification, la formation professionnelle et les retraites (20 milliards d’euros à trouver pour pérenniser la répartition). En revanche, rien sur la dépendance.
Le plus important, sans doute, sera la formation professionnelle et cette réforme, s’il y met du sien, pourrait même être consensuelle car il y a un réel problème reconnu de tous et un grand besoin de la réformer pour l’axer prioritairement à ceux qui sont obligés de se former pour retrouver un emploi.
Le silence vaut autorisation : l’arnaque à trois balles
Pour le choc de simplification, un mot toujours vide de sens, François Hollande a parlé d’une mesure "révolutionnaire" pour les particuliers, que si un courrier n’avait pas de réponse de la part de l’administration après un délai déterminé, cela équivaudrait dans certains cas à un accord de l’administration : « Le silence de l’administration vaudra désormais autorisation et non plus rejet. ».
Malheureusement, il n’a pas été capable de citer un seul exemple pour cette disposition et cela va renforcer au contraire les délais longs car avec une telle mesure, l’administration ne se donnerait même plus la peine de faire une réponse lorsqu’elle sera positive.
Les syndicats de fonctionnaires sont en tout cas très réticents. FO : « C’est la porte ouverte à des dangers sanitaires et environnementaux importants. » et la CDFT : « Quels moyens va-t-on se donner pour pouvoir répondre dans de bons délais ? ».
Par ailleurs, cette réforme est déjà faite depuis treize ans ! Mais n’a pas encore eu de décret d’application. En effet, l’article 22 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations prévoit déjà : « Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation dans les cas prévus par décrets en Conseil d’État. ». On voit donc le niveau révolutionnaire de l’annonce : pondre enfin ces décrets d’application !
Retraites : on vivrait plus longtemps depuis le 6 mai 2012
Réforme des retraites ? Extraordinaire numéro d’hypocrisie suprême en assénant cette idée novatrice pour lui mais évidente pour le commun des mortels : l’allongement de l’espérance de vie, qui est heureuse, déséquilibre financièrement le système des retraites par répartition et nécessite donc qu’on travaille plus longtemps. On vit plus longtemps, on travaille plus longtemps.
Quelle découverte ! Étrange qu’en 2010 (il n’y a pas si longtemps), François Hollande soit resté sourd aux arguments de la majorité précédente pour faire sa réforme des retraites (que François Hollande a critiquée car elle n’allait pas assez loin ; le monde est vraiment à l’envers !).
Retour du vote des étrangers, pour faire plaisir à ses petits camarades
Sans que la question lui fût posée, François Hollande a aussi annoncé qu’il présenterait finalement son projet de droit de vote pour les étrangers, sachant qu’il n’aurait certainement pas la majorité des trois cinquième nécessaire du Parlement réuni en Congrès, mais seulement après les élections municipales de mars 2014, afin de ne pas être attaqué sur d’éventuelles arrière-pensées électoralistes.
Comme de nouvelles élections sénatoriales auront lieu en septembre 2014 avec un basculement possible de la majorité sénatoriale, François Hollande n’aurait donc qu’une petite fenêtre de tir entre avril 2014 et août 2014, en sachant qu’il y aura durant cette période les élections européennes.
Pas de remaniement, pas d’union nationale, mais ouverture sur projets
Dans le domaine un peu plus "politicien", François Hollande a assuré le maintien de son Premier Ministre pour les mois à venir et a affirmé qu’il n’y aurait pas de remaniement ministériel "aujourd’hui", ni "maintenant", et qu’il n’était pas "d’actualité", ce qui, en définitive, ne signifie pas grand chose car une telle déclaration n’entrerait pas en contradiction avec un remaniement …demain !
Par ailleurs, il a confirmé qu’il n’y aurait ni ouverture, ni union nationale, ni changement de majorité, ni vers le centre ni vers l’extrême gauche, mais il n’a échappé à personne qu’il a donné son accord, sans le citer nommément, à l’initiative de Jean-Louis Borloo qui avait présenté quelques sujets qui pouvaient être discutés de manière consensuelle pour aider au redémarrage de l’économie.
Pour l’heure, la coopération s’est plutôt réalisée du côté du Front de gauche avec l’adoption à l’Assemblée Nationale, ce jeudi 16 mai 2013 au soir, de la proposition de loi du député Alfred Marie-Jeanne qui supprime le mot "race" dans la législation française et qui rappelle sagement dans son article 1er (grâce à un amendement) : « La République combat le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Elle ne reconnaît l’existence d’aucune prétendue race. ».
L’État se dégonflerait-il vraiment ?
Cette "ouverture" d’esprit présidentielle peut être une posture comme elle peut être sincère, cela se verra par les actes, mais François Hollande a cependant adopté la même rhétorique que son prédécesseur dans ses échanges avec les journalistes, en leur renvoyant la balle par une question miroir. Notamment sur la réduction des dépenses publiques : « Si certains ont des idées pour faire des économies, n’hésitez pas ! ». Il a utilisé cette méthode deux ou trois fois.
Sur ce sujet, François Hollande a continué à marteler des contrevérités en prétendant qu’il y a stabilité des dépenses publiques alors qu’elles ont encore crû cette année, et en refusant d’assumer pleinement la très forte hausse de la fiscalité (il ne s’est senti responsable que du quart de cette hausse).
L’idéal pour 2014…
Concernant les perspectives fiscales, il s’en est remis à la concertation sociale pour l’éventuelle réforme de la CSG fusionnant avec l’impôt sur le revenu (pourtant, c’est bien du ressort du politique et pas du social) et a laissé entendre que « l’idéal en 2014 », c’est que les ménages ne soient pas plus taxés qu’en 2013 (TVA et IR).
L’idéal en 2014" résume finalement assez bien toute la politique fiscale de François Hollande : l’idéal, donc, ce n’est pas un engagement (surtout si la croissance ne venait toujours pas…), et en 2014, cela ne signifie rien pour 2015, 2016 etc. or, les Français ont besoin de visibilité sur l’avenir pour investir, que ce soient les entreprises ou même les particuliers s’ils veulent entreprendre des travaux coûteux etc.
Trocadéro rime avec Waterloo
Dans ses fonctions régaliennes, si François Hollande s’est montré présidentiel pour le Mali, la Syrie, les otages français en Afrique, il a fait preuve, en revanche, de beaucoup de légèreté en évoquant les violences urbaines du Trocadéro le lundi 14 mai 2013 au soir, d’une part, en relativisant (il y a eu aussi de la casse au quinquennat précédent, quel merveilleux sens des responsabilités), d’autre part, en s’étonnant sur le type de jeunes qui ont été arrêtés (ce ne seraient pas les "ultras" des supporters du PSG).
Un chef partisan, comme le précédent
Alors qu’il s’exprimait dans son palais, il a encore dû énumérer sa longue litanie des décisions pour s’autojustifier à nouveau qu’il est bien un Président de la Ve République comme il faut, c’est-à-dire, qui décide (de tout).
Malgré son débat du 3 mai 2012, tout montre un fascinant mimétisme avec son prédécesseur. François Hollande, "moi, Président de la République", ne serait pas un chef de parti et ne réunirait pas les parlementaires de sa majorité à l’Élysée.
Ok, il les a donc réunis un peu plus loin, à la Maison de l’Amérique latine et les a rencontrés après sa conférence de presse pendant une heure : « Vous me regardez, je vous regarde. Vous m’écoutez, je vous écoute. Vous me manquez mais jamais vous ne m’avez manqué. Je mesure la difficulté du travail. Je crois à notre réussite. ».
C’est presque pire que le comportement partisan de son prédécesseur : c’est le même esprit partisan, mais encore plus hypocrite. D’ailleurs, évitant de dire qu’il n’est pas un "Président socialiste", il a rejeté le qualificatif de "social-démocrate" et s’est déclaré « un socialiste qui veut faire réussir la France » (notez la nuance : se dire socialiste tout court ne laisse pas entendre de manière évidente qu’on voudrait le bien du pays !).
L’initiative européenne
De cette seconde conférence de presse présidentielle, la seule chose intéressante est donc l’initiative en quatre points sur la construction européenne, avec ces mots pesés : « Je suis à la tête d'un État fondateur de l'Europe. Mon devoir est de sortir l'Europe de la langueur et de réduire la désaffection des peuples qui ne peut que compromettre son avenir. Je prends une initiative en quatre points.
1) Instaurer un gouvernement économique réuni chaque mois autour d'un président, pour débattre des principales décisions économiques et fiscales.
2) Un plan pour l'insertion des jeunes. Mobilisons, avant le cadre européen, une partie des fonds d'environ 6 milliards d'euros pour venir en soutien des jeunes européens.
3) Une communauté européenne de l'énergie pour coordonner les efforts et réussir à assurer la transition énergétique.
4) Une nouvelle étape enfin, d'intégration, avec une capacité budgétaire attribuée à la zone euro et la possibilité de lever l'emprunt. ».
Ces propositions n’ont rien de nouveau, la gouvernance économique de la zone euro était déjà demandée par Angela Merkel, mais François Hollande a pu ainsi récupérer médiatiquement des projets en préparation depuis plusieurs mois chez les diplomates. Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs fait des propositions dans le même sens à la fin de son quinquennat. Certains pensent que le principal opposant à cette initiative pourrait bien être paradoxalement le Parlement Européen qui préférerait une organisation supranationale à une structure simplement issue des seuls gouvernements nationaux de la zone euro.
Tout ne va pas si bien...
Donc, je salue cette initiative, toute initiative, aussi faible soit-elle, est heureuse dans ce climat souvent europhobe en raison de la crise économique. Cependant, c’est justement cette crise, la récession, la baisse du pouvoir d’achat qui ne sont pas prises à leur juste mesure par le Président François Hollande et que Jean-Louis Borloo a parfaitement résumé sur i-Télé le 16 mai 2013 : « La boîte à outils – on ne va pas en parler deux cents ans – qui a été conçue il y a deux ans, n’est pas adaptée à la violence de la situation. ».
Il serait donc temps au Président de la République de baser sa politique économique autrement que sur la méthode Coué et une inversion hypothétique de la courbe du chômage à la fin de 2013 (essentiellement pour des raisons démographiques et pas économiques). La récession n’a jamais créé plus d’emplois qu’on en perd.
- Source : Sylvain Rakotoarison via Agoravox