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Les casseurs de l'automobile

Auteur : David Victoroff | Editeur : Admin | Lundi, 25 Févr. 2013 - 22h54

Le feu est dans la maison pour PSA, qui a perdu 5 milliards d’euros en 2012. Renault ne doit son bénéfice qu’à une plus-value exceptionnelle. Tous deux souffrent de surcapacité et leurs usines françaises ne sont plus compétitives. Le marché français pour les véhicules particuliers a baissé de 13 % l’an dernier : PSA affiche un recul de 17 %, le groupe Renault chute de près de 20 % tandis que les constructeurs allemands et japonais résistent ou progressent et que les Coréens font une percée (de 29 % pour le groupe Hyundai).

Signe du déclin de l’automobile française, en 2000 la branche dégageait un excédent commercial de près de 10 milliards d’euros. Elle est déficitaire depuis 2008 : de 5,2 milliards en 2011, de 3,4 milliards en 2012. Au-delà du cycle défavorable et de la maturité des marchés en France et en Europe, il existe un problème spécifiquement français. Certes, il y a eu la crise. Mais les constructeurs américains, plus violemment frappés, ont su rebondir (voir graphique page 48). Entre les rodomontades du ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg et les combats retardataires des syndicats, tout semble avoir été fait en France pour décourager une industrie qui emploie encore directement 140 000 salariés sur le territoire national. Qui veut casser l’automobile française ?

Une compétitivité bridée
Problème de l’industrie française encore une fois mis en lumière l’an dernier par le rapport Gallois, le manque de compétitivité touche particulièrement la branche automobile. Depuis dix ans, les marges n’ont cessé de baisser et sont au plus bas depuis vingt-cinq ans. En cause, la durée du travail, les charges sociales et les coûts de maintien en activité de sites sous-employés. Les lois sur les 35 heures ont abouti à une durée du travail parmi les plus faibles au monde. L’un des objectifs du plan de compétitivité proposé aux syndicats de Renault en France est d’augmenter le temps de travail pour revenir aux 35 heures ! « Nous étions jusque-là en deçà », dit le président de Renault Carlos Ghosn.

Dès janvier 2011, le patron de PSA exprimait son inquiétude sur les charges sociales dans une tribune dans les Échos : « Il n’est simplement plus tenable de faire peser l’essentiel du financement de la solidarité nationale sur les seuls salariés. » Le 26 septembre dernier, il réitérait son avertissement : « Quand on compare notre compétitivité avec d’autres pays, la France est en ligne avec son voisin allemand sur les bas salaires, mais cela s’arrête à 1,6 fois le smic. Autrement dit, là où commencent précisément les emplois industriels… Si nous arrivions à baisser nos coûts salariaux de 5 à 10 %, ce serait très substantiel pour le groupe. » Le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) est loin du compte puisque, selon les calculs de Rexecode, il n’allégerait les charges sociales de l’industrie que de 2,8 %.

Lorsque la demande s’effondre, le maintien des sites industriels en activité alourdit encore les coûts : une usine est rentable quand elle fonctionne à 80 %. En France, elles sont utilisées à moins de 60 %. General Motors a fermé son usine d’Anvers en Belgique en 2010. Fiat a fermé celle de Termini Imerese en Italie en novembre 2011. Confrontés au même problème, les trois grands constructeurs américains de Detroit (General Motors, Ford et Chrysler) ont diminué, entre 2004 et 2012, leurs capacités de production de 29 % pendant la crise, soit près de quatre millions de véhicules en moins. En France, Peugeot a fermé une chaîne de production à Aulnay en 2008. Mais ni Renault ni Peugeot, soumis à la pression de l’État, n’ont pu supprimer un site de production en France.

Des syndicats rétrogrades
Dans une industrie qui délocalise depuis des années, les syndicats de l’automobile doivent faire face à une érosion des effectifs contre laquelle ils freinent des quatre fers, au risque de compromettre l’avenir de l’entreprise. Chez PSA, les éléments de la CGT qui terrorisent ceux qui voudraient travailler semblent peu se soucier de l’intérêt de l’entreprise et de ses salariés. En paralysant la production, ils démontrent que PSA peut se passer d’Aulnay. En employant tous les moyens dilatoires pour retarder la signature du plan de restructuration de l’entreprise, ils mettent en danger la survie même de PSA.

« PSA perd 7 millions par jour. Nous sommes à l’agonie. Si la thérapie est trop lente le malade peut mourir », avertit Christian Lafaye, délégué syndical central FO chez PSA. La CFE-CGC, FO et la CFTC sont prêts à signer le plan social assurant les meilleures conditions de départ aux salariés qui quitteront le site. Mais les préoccupations de la CGT locale semblent plus politiques que corporatistes : approche du congrès de la CGT, influence de Lutte ouvrière, visées révolutionnaires… Une attitude suicidaire identique à celle adoptée par le même syndicat à Amiens dans l’usine de Goodyear qui a fini par décourager les repreneurs américains et conduit à la fermeture de l’usine.

Chez Renault, il n’est pour l’instant pas question de fermer d’usines. Le constructeur produit en France un peu plus de 500 000 véhicules, contre 1,3 million il y a dix ans. Au contraire, Renault se propose de rapatrier en France une partie de la production de la Clio de Turquie à Flins, des boîtes de vitesses fabriquées au Portugal à Cléon et de faire appel à ses partenaires Nissan et Daimler pour augmenter le plan de charge de 80 000 véhicules par an. Mais pour cela, il faut revenir sur tout un héritage d’accords qui ont fait de Renault un “laboratoire social”, com­me le voulait l’État actionnaire.

Tous crient au chantage, la direction ayant fait savoir que, sans cet accord calqué sur celui passé avec les usines espagnoles, la fermeture de sites deviendrait inévitable. L’adaptation des conditions de travail à la crise a été faite pour les usines espagnoles. Pour être compétitives, les françaises doivent se mettre au diapason : plus de travail, plus de souplesse dans les horaires, gel des rémunérations, mobilité entre les sites. La CFE-CGC, principal syndicat chez Renault, FO et la CFDT devraient finir par signer, mais les négociations traînent. La CGT a déjà dit qu’elle ne signerait pas.

Une justice partiale
Les juges sont là pour appliquer la loi mais les procédures en matière de restructuration sont si complexes qu’il est presque impossible de les suivre à la lettre. La cour d’appel de Paris a ainsi fait à la fin janvier ce que le gouvernement socialiste n’avait pas osé : elle a suspendu le plan social de PSA huit mois après qu’il eut été annoncé et d’abord validé par le tribunal de première instance. C’est sur une plainte de la CGT de Faurecia, un équipementier filiale de PSA, que la justice s’est prononcée. Le motif est purement formel : le comité d’entreprise de Faurecia aurait dû être saisi des conséquences éventuelles du plan de PSA sur son activité.

PSA aura donc besoin de délais supplémentaires qui ne feront que creuser ses pertes et mettre en danger davantage d’emplois. Déjà, en 1997, la justice française avait annulé le plan de fermeture de l’usine Renault de Vilvorde en Belgique parce que le comité de groupe n’avait pas été consulté.

Il ne s’agit là que d’une première décision : une fois le plan social approuvé et mis en œuvre, d’autres recours pourront être déposés, faisant peser un risque sur les entreprises. Ce processus judiciaire avait entraîné la perte de Moulinex. Des décisions intervenant plusieurs années après avaient contraint des entreprises à réintégrer des salariés à la Samaritaine ou chez Lu. L’accord sur la flexibilité et la préservation de l’emploi signé par les syndicats salariés (sauf la CGT et FO) et patronaux prévoit de réduire les délais durant lesquels un plan social pourrait être remis en question. Mais la loi de transposition n’est pas encore votée et une jurisprudence très favorable aux salariés fait peser un risque qui peut mettre en péril les entreprises.

Un État schizophrène
Tous les gouvernements ont eu une attitude ambiguë vis-à-vis de l’industrie automobile. Considérée à la fois comme le fer de lance de l’industrie française et le laboratoire social, notamment pour Renault dont l’État détient 15 %, l’industrie automobile française est régulièrement l’occasion de heurts avec les gouvernements, surtout quand ils sont de gauche. En 1982, Jacques Calvet, appelé au chevet de Peugeot déjà dans une situation périlleuse, s’était heurté aux critiques de l’État pour son plan de restructuration.

En 1997, c’est au tour de Lionel Jospin de se désoler de l’incapacité de l’État, qui ne peut pas tout, à propos de la fermeture de Renault à Vilvorde. Cette fois, c’est encore un gouvernement socialiste qui souffle le chaud et le froid sur la branche automobile, son ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg insultant un jour la famille Peugeot pour ensuite commander un rapport qui finalement validera la fermeture d’Aulnay, laissant entrevoir la perspective d’une nationalisation pour ensuite l’écarter. Pour Renault, il fixe des lignes rouges : pas de fermeture de site, pas de plan social. À noter tout de même que les réalités finissent toujours par l’emporter face à la menace d’un cataclysme industriel. La garantie de l’État apportée à PSA Finance a ainsi permis de sauver la banque du constructeur.

Des primes qui tuent le marché
La prime à la casse, c’est un peu reculer pour mieux sauter : après quatre ans de mise en œuvre de cette mesure destinée à soutenir l’industrie automobile en facilitant l’achat de voitures neuves, la profonde déprime du marché européen en 2012 en témoigne. C’est que tout n’avait pas été prévu au départ…

Les premières primes à la casse ont été les “balladurettes”, dès 1994. Les dernières ont été décidées à la fin 2008-début 2009, en pleine tempête financière. À ce moment-là, tout le monde comprend aisément la finalité d’une mesure très populaire : en prenant en charge une partie de la facture (1 000 euros au départ pour la destruction d’un véhicule ancien suivie de l’achat d’une voiture neuve à émissions de dioxyde de carbone limitées), le gouvernement entend inciter à aller au plus vite chez les concessionnaires. En 2009 et en 2010, la prime à la casse a fonctionné à plein, “lissant” les effets de la crise pour des constructeurs et des équipementiers en pleine déroute. En 2011, son effet s’est encore fait sentir. En 2012, patatras, ce sont les effets négatifs qui apparaissent au grand jour.

Premier point, la prime à la casse a bénéficié essentiellement aux véhicules d’entrée de gamme ; les constructeurs français qui vendent ces petites voitures ont donc perdu en chiffre d’affaires et en marges ce qu’ils paraissaient gagner en nombre d’immatriculations. L’effet sur l’emploi industriel en France est mitigé : bon nombre de ces petites voitures sont de toute façon fabriquées à l’étranger : la Twingo vient de Slovénie, la Peugeot 208 de Slovaquie, la Citroën C1 de République tchèque, etc.

La mesure a favorisé un secteur — les constructeurs, les équipementiers — pour en pénaliser un autre : le marché du véhicule d’occasion s’est trouvé délaissé par les consommateurs, attirés artificiellement vers les véhicules neufs.

Autre mesure du même tonneau, le bonus-malus, purement français pour l’instant alors que les primes à la casse ont été mises en place dans toute l’Europe, aboutit au même résultat.
Au total, le maintien artificiel du marché a conduit les constructeurs à différer les mesures d’adaptation qui leur auraient peut-être permis de mieux préparer l’après-crise : « Éviter les restructurations à grand renfort de prime à la casse ou de bonus-malus ne règle rien. Les États-Unis ont tranché dans le vif et fermé des usines ; aujourd’hui, ils recrutent à nouveau », souligne Bertrand Rakoto, analyste chez Polk, société de conseil spécialiste du marché automobile.

Les écolos contre l’auto
Réduire à néant la présence des automobiles dans les villes au nom du “vivre mieux” est le leitmotiv des écologistes ; et parce qu’ils sont pieds et poings liés les socialistes ne peuvent pas refuser grand-chose aux Verts. Les écolos sont presque arrivés à leur objectif : en dix ans, la circulation à Paris a baissé de 20 % et moins d’un ménage sur deux possède une voiture.

Dans leur besace, un attirail de solutions pour limiter la présence des voitures. Première d’entre elles, limiter la vitesse tandis que les radars se multiplient. À Paris, laboratoire du délire écolo, la vitesse est limitée à 50 kilomètres-heure mais il existe aussi des zones limitées à 30 ; elles pourraient être étendues à d’autres quartiers de la capitale. Une diminution de 10 kilomètres-heure de la vitesse maximale sur le périphérique est également envisagée. D’autres grandes agglomérations socialistes ont aussi succombé aux sirènes écolos. À Montpellier, la vitesse est tombée de 110 à 90 kilomètres-heure aux heures de pointe sur les voies rapides avec des radars essaimés. Elle a aussi été réduite de 20 kilomètres-heure sur les voies rapides du Grand Lyon. À Strasbourg, la municipalité a soumis au vote la généralisation (70 % des voiries) des zones à 30 kilomètres-heure. La population a voté contre !

Parallèlement les places de parking se raréfient. En dix ans, 15 % des places de stationnement à Paris, soit près de 25 000 emplacements, ont disparu au profit d’autres modes de transport comme le Vélib’… Conséquence ? Une hausse de 7 % des PV dressés en 2011 ; les agents de surveillance sont d’autant plus motivés qu’ils percevraient une prime au mérite de 350 euros, instaurée par Bertrand Delanoë. Et il n’est pas dit que le prix du stationnement ne variera pas prochainement en fonction de la pollution produite par la voiture…

L’instauration d’un bonus-malus écologique freine aussi les ventes de voitures. Pour Bertrand Rakoto, « il affaiblit toute la filière en freinant les achats ». Ces bonus ont en fait favorisé des voitures propres que BMW et Audi ont su fabriquer plus vite et mieux que les constructeurs français. Ils pénalisent notamment les grosses cylindrées, sur lesquelles les constructeurs français avaient déjà du mal à s’affirmer et qu’ils produisent sur les sites nationaux ! L’augmentation du malus décidée pour cette année ne va rien arranger, au contraire… Même avec des voitures dites propres, la disparition d’une partie des voies de dégagement à Paris entraînera fatalement une hausse de la pollution.

Dernière trouvaille du ministère de l’Écologie, le retour de la pastille verte. Le gouvernement pourrait prochainement s’attaquer à 19 % du parc automobile (de plus de 17 ans), jugé trop polluant, en lui interdisant l’accès aux centres-ville. Cela pénalisera les foyers les plus modestes sans pour autant entraîner une hausse des ventes de voitures neuves.

Les coréennes à nos portes !
Arnaud Montebourg voulait mettre sous surveillance les importations de véhicules en provenance de Corée ; il a raté sa tentative. Impossible pour la Commission européenne de revenir sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Corée entré en vigueur en juillet 2011. Les tarifs douaniers pour les petites voitures, qui étaient à 10 % avant l’accord, sont actuellement à 6,7 %, et seront nuls en 2016.

Au début 2012, les importations de voitures coréennes ont bondi en France : + 50 % par rapport à la même période en 2011, tandis que les exportations vers la Corée sont, elles, en chute.
Malgré ces chiffres, la mise sous surveillance réclamée par le ministre du Redressement productif n’était qu’une fausse bonne idée. D’abord parce que nourrir la peur de la mondialisation ne sert à rien. Ensuite parce que, très concrètement, si les tarifs douaniers venaient à être relevés, ils pénaliseraient aussi… Renault ! La marque au losange, qui fabrique en Corée ses 4x4 Koleos et ses berlines Latitude, les paie exactement comme Hyundai… De même que General Motors, allié de PSA mais aussi grand importateur de Corée puisque c’est au pays du Matin-Calme que le constructeur américain fabrique ses Chevrolet.

L’accord de libre-échange — même s’il consacre et aggrave sans doute un déséquilibre manifeste — n’est pas non plus la seule cause des succès des constructeurs coréens en Europe. Plus de la moitié des quelque 400 000 Hyundai et Kia immatriculées en Europe au premier semestre 2012 étaient fabriquées à l’intérieur de ses frontières, en République tchèque et en Slovaquie ou en Turquie, signataire d’un accord d’union douanière avec l’Union européenne depuis 1995.

Pourquoi, en Europe même, les petites Hyundai sont-elles si dynamiques ? Les explications, comme toujours, sont multiples. « En Europe centrale, ces constructeurs ont un outil de production récent, moderne et neuf. Ils ont eu des aides considérables pour s’installer, comme Toyota à Valenciennes d’ailleurs. Et ils n’ont pas trente ans d’accords sociaux derrière eux… », remarque Bertrand Rakoto chez Polk. Grâce à leur croissance mondiale vigoureuse, ils se présentent aussi en Europe avec une capacité financière qui leur permet de consentir des promotions intéressantes. Les banques, confiantes, leur accordent des taux imbattables dont ils font profiter leurs clients. Au bout du compte, à qualité perçue comme égale, les petites coréennes sont moins chères… Par les temps qui courent, c’est convaincant.

C’est un succès qui s’apprécie en tendance car en volume il reste marginal. Il ne s’est vendu en France, d’après les statistiques du CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles), qu’un peu plus de 100 000 Hyundai en deux ans, à comparer aux 2,7 millions de véhicules écoulés par PSA et Renault.

Photo © AFP

Categorie: ActualitésSommaire: 

Constructeurs.  Des parts de marché qui s’effondrent, 9 500 suppressions de postes annoncées chez PSA, 8 000 chez Renault : le temps presse pour sauver ces entreprises, mais les obstacles s’accumulent.

image_couverture_large: image_article: auteur: David Victoroff

- Source : David Victoroff

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