100 prisonniers palestiniens relâchés révèlent des crimes de torture et de traitements cruels
Dans un nouveau rapport rendu public mardi, Euro-Med Human Rights Monitor* présente les témoignages d’une centaine de détenus palestiniens relâchés.
Ces témoignages confirment que les autorités et l’armée israéliennes ont commis d’horribles crimes d’arrestation arbitraire, de disparition forcée, de torture et de traitements inhumains et cruels à l’encontre de milliers de civils palestiniens qui ont été arrêtés dans le cadre du génocide d’Israël dans la bande de Gaza, lequel est en cours depuis le 7 octobre.
Dans un rapport de plus de cinquante pages intitulé « Les otages de la revanche israélienne dans la bande de Gaza », Euro-Med Monitor met en lumière la pratique répandue des arrestations arbitraires, tant collectives qu’individuelles, par les forces israéliennes à l’encontre des civils de l’enclave. Les personnes arrêtées au cours des incursions militaires d’Israël et de ses attaques terrestres des villes, des camps et des quartiers résidentiels dans tout le territoire comprennent des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes déplacées.
Le rapport s’appuie sur des déclarations, des témoignages et des interviews personnelles réalisées par l’équipe d’Euro-Med Monitor auprès d’une centaine de détenus qui ont été relâchés après une garde à vue par l’armée israélienne suite à des opérations terrestres dans diverses parties de la bande de Gaza.
Environ une moitié des détenus récemment libérés sont des hommes de moins de 50 ans et, parmi ceux qui restent, figurent 17 hommes âgés, 22 femmes et quatre enfants. Des informations additionnelles ont également été collectées à partir d’autres rapports publiés par les autorités concernées, les médias locaux et internationaux et les organisations de défense des droits humains.
Les informations collectées concluent que l’armée israélienne commet très régulièrement les crimes répandus d’arrestation arbitraire, de disparition forcée, d’assassinat prémédité, de torture, de traitements inhumains, de violence sexuelle et de refus d’un procès équitable.
Elles confirment également que l’armée israélienne a utilisé la torture physique et psychologique contre des détenus civils palestiniens, y compris des tabassages dans l’intention de tuer, des violences sexuelles, l’électrocution, la pose d’un sac sur la tête pour empêcher de voir et la pose de fers à long terme aux mains et aux pieds.
Israël leur a également refusé l’accès à de la nourriture et à des soins médicaux, y compris des soins très importants, voire vitaux ; ses militaires ont craché et uriné sur des détenus et ont commis d’autres actes cruels et dégradants, outre les violences psychologiques, dont le viol et les menaces de mort, le harcèlement verbal et d’autres formes de violence sexuelle.
Abdul Qader Jamal Tafesh, 33 ans, s’est entretenu avec l’équipe d’Euro-Med Monitor après avoir été arrêté et placé en garde à vue par l’armée israélienne, alors qu’il se trouvait à l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de la bande de Gaza, où il s’était réfugié comme personne déplacée.
« Le 12 décembre 2023, les soldats m’ont arrêté et enfermé dans un de leurs camps dans le nord de la bande de Gaza », a-t-il déclaré. « Ils m’ont interrogé à l’intérieur de la villa de la famille Al-Barawi, rue de Beit Lahia, que l’armée avait transformée en cantonnement militaire. »
Selon Tafesh, dès que lui et les autres prisonniers sont arrivés dans la cour de la maison, ils ont été examinés à l’aide d’outils dont, plus particulièrement, des scanners d’« empreintes oculaires ». « Après qu’on nous a dépouillés de nos vêtements et menottés, un sur cinq d’entre nous a reçu l’ordre de s’aligner en face des caméras, de s’agenouiller et de courber la tête. J’en faisais partie. »
Une fois qu’il s’est retrouvé au sol, a poursuivi Fafesh, « l’un des soldats m’a bandé les yeux, a placé un autocollant avec un numéro sur mon épaule et m’a fait courir environ 500 mètres avant de me jeter au sol. »
Et d’expliquer qu’un soldat l’avait battu et torturé, agitant ses menottes de l’avant à l’arrière même après qu’il avait révélé qu’il était blessé et qu’il avait précédemment subi une opération au cours de laquelle on avait inséré du platine dans son épaule gauche, ce que le soldat pouvait de toute façon voir, puisque Tafesh était nu.
« Il m’a également frappé avec sa chaussure, ce qui a encore attisé la douleur, et plus particulièrement à l’endroit où j’avais été opéré, ce qui a provoqué mon évanouissement à plusieurs reprises. Je leur ai demandé de faire venir un médecin ou de m’emmener chez un médecin, mais ils ont refusé », a déclaré Tafesh. Et d’ajouter : « Un soldat s’est approché de moi et m’a demandé : ‘Tu veux mourir ?‘ Il a levé son arme, a débloqué ses sécurités et a fait feu tout près de ma tête. »
M.Q., un résident de la ville de Gaza et ingénieur employé par une société locale, a demandé qu’on n’indique pas son nom en entier pour des raisons de sécurité. Il a déclaré qu’il avait été arrêté et sévèrement torturé par l’armée israélienne à son domicile même : « Ils m’ont sévèrement tabassé, pendant plus d’une heure et demie sans arrêt, puis m’ont obligé à m’asseoir sur un siège du WC près de la chambre. L’un des soldats m’a demandé de réciter la Shahada (une prière musulmane que l’on dit quand on croit qu’on est sur le point de mourir) et, après que je l’ai fait, il a tiré une balle, droit dans le mur à côté de moi. »
M.Q. de poursuivre : « Après ça, j’ai été menotté et attaché sur place pendant que les soldats me jetaient des pierres. Environ un quart d’heure plus tard, ils m’ont sorti du WC et m’ont jeté par terre dans la pièce. Ils m’ont également marché sur la tête et quatre d’entre eux m’ont uriné dessus tout en m’insultant. »
En sus d’avoir été détenus et soumis à la torture dans les bases militaires et sites de détention israéliens – dont des centres de détention secrets et non officiels, en particulier ceux qui se trouvent à proximité des frontières de la bande de Gaza – les détenus palestiniens ont également été soumis à la détention et à la détention prolongée sans la moindre procédure juridique pourtant obligatoire ni sans avoir été déférés devant des autorités judiciaires, ce qui constitue une violation des lois internationales concernées.
La communauté internationale doit respecter ses obligations légales dictées par les lois internationales et consistant à contraindre Israël à cesser de commettre des crimes contre tous les résidents de Gaza, y compris les détenus. Elle doit également activer des mécanismes de pression efficaces afin de forcer Israël à cesser immédiatement ces crimes et à adhérer aux lois internationales ainsi qu’à protéger les civils palestiniens de la bande de Gaza.
Dans le cadre des articles 146, 147 et 148 de la Quatrième Convention de Genève de 1949, les hautes parties contractantes sont tenues de faire cesser les graves violations par Israël à l’encontre des civils palestiniens dans la bande de Gaza, y compris les crimes de torture et les traitements inhumains et dégradants à l’encontre des détenus palestiniens.
Toutes les nations doivent remplir leurs obligations internationales et mettre un terme à tout soutien militaire, politique et financier à Israël dans ses crimes contre la population civile de la bande de Gaza ; en particulier, tous les transferts d’armes, les permis d’exportation et l’aide militaire à Israël doivent cesser. Autrement, ces nations seront complices de tous les crimes commis dans la bande de Gaza, dont le crime de génocide.
Il conviendrait de soumettre Israël à des pressions afin qu’il mette un terme à sa pratique consistant à faire disparaître de force des prisonniers et détenus palestiniens de la bande de Gaza ; qu’il révèle immédiatement tous ses sites secrets de détention ; qu’il révèle les identités de tous les Palestiniens de la bande de Gaza qu’il détient, ainsi que leurs allées et venues et leur sort ; et qu’il assume l’entière responsabilité en vue de garantir leur sécurité et sauvegarder leur vie.
Afin de conclure l’enquête ouverte en 2021, la Cour pénale internationale (CPI) doit coopérer avec toutes les parties et entreprendre des actions sérieuses en soumettant des rapports spécialisés à propos des crimes auxquels les prisonniers et détenus palestiniens ont été exposés dans les prisons et centres de détention israéliens depuis le 7 octobre.
La Cour doit également émettre des mandats d’arrêt contre tous les responsables de ces crimes, y compris les crimes commis à l’encontre des prisonniers et détenus, afin de les déférer devant la justice et les tenir responsables de ces mêmes crimes.
Euro-Med Monitor a été passablement surpris d’apprendre que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, avait laissé de côté les crimes répandus et systématiques de torture commis par Israël à l’encontre des prisonniers et détenus palestiniens, particulièrement dans la bande de Gaza, quand il a annoncé lundi qu’il avait soumis une requête à la Chambre préliminaire en vue de délivrer deux mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant pour avoir prétendument participé à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité à l’encontre du peuple palestinien, mais sans mentionner la torture, même si de très nombreuses preuves soutiennent ces allégations.
Il conviendrait d’exercer des pressions sur les autorités israéliennes afin qu’elles relâchent tous les détenus palestiniens qui ont été arbitrairement arrêtés et, s’ils sont soumis à un procès, de leur garantir à tous des procédures équitables. En outre, Israël doit restituer les restes des prisonniers et détenus palestiniens qui sont morts dans les prisons et centres de détention israéliens.
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*(Réseau euro-méditerranéen de contrôle des droits humains – Euro-Med Monitor),
Traduction: Jean-Marie Flémal
- Source : Euro-Med Human Rights Monitor