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Vendredi, 19 Avr. 2024

Zemmour, Pétain et les israélites collabos

Auteur : Youssef Hindi | Editeur : Walt | Mercredi, 23 Mars 2022 - 14h22

Voilà plusieurs années qu’un débat anime le microcosme médiatico-politique et le Landerneau. Ce débat, sur la réhabilitation de Pétain et la gestion de la question juive par Vichy, a été impulsé par Éric Zemmour il y a une demi-douzaine d’années. Évidemment, certains aspects de cette houleuse question sont soigneusement contournés par Zemmour et ses contradicteurs.

Nous allons tenter ici de comprendre ce qui a motivé Zemmour à lever le sujet « Pétain sauveur de juifs » et à embrasser des thèmes et des thèses défendues par l’extrême droite française.

Grand-remplacement et main basse sur l’héritage d’extrême droite

Dans un article du 5 octobre dernier [1], nous avons examiné les causes et les conséquences du virage gauchiste de Marine Le Pen, qui a finalement abandonné l’héritage de la droite nationale opportunément récupéré par Éric Zemmour.

Le « pétainisme » de Zemmour a suscité beaucoup d’étonnement et de questionnements. Or, pour saisir ses motivations il faut concevoir cette démarche politico-idéologique du point de vue marketing. L’objectif des ailes gauche et droite du système politique est d’occuper toutes les parts de marché, et ce jusqu’à l’extrême droite. Afin de ne laisser aucun sujet, aucun thème, aux mains des Français patriotes, avec tous les « risques » que cela implique.

Sinon, comment comprendre le parcours erratique de Zemmour, venu du mitterrandisme, pour atterrir dans la droite nationale après être passé par le séguinisme, le chevènementisme, le gaullisme et le bonapartisme ? Éric Zemmour n’avouait-il pas dans une entretien accordé au Point le 1er avril 2010 :

« Je me croyais de gauche. J’ai voté Mitterrand en 1981 et en 1988. Et puis, j’ai rompu avec la gauche depuis l’histoire du voile islamique au collège de Creil. » [2]

Autant dire que ses convictions politiques ne tiennent pas à grand-chose.

Alors que les nationalistes français et les révisionnistes n’ont plus droit de cité depuis longtemps, sont persécutés par la « justice », ce pétainisme affiché par Zemmour fut discuté à la grande synagogue de la Victoire avec l’ancien grand rabbin de France Gilles Bernheim le 1er juin 2016.

Le débat entre Zemmour et le rabbin Bernheim fut ainsi résumé et commenté par Actualité juive :

« Éric Zemmour a expliqué, force citations à l’appui et dans un style brillant que personne ne peut lui enlever, ce qu’il entendait par être juif et français [...] Éric Zemmour a alors regretté la disparition de l’israélite, ce Français attaché à la nation française et juif dans la sphère privée. Avec érudition, il a rappelé l’histoire de l’émancipation des Juifs en 1791 suite à la Révolution française non sans évoquer deux points qui fondent selon lui le judaïsme français : le discours du comte de Clermont-Tonnerre devant l’Assemblée précisant qu’‘‘il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens’’.

Deuxième point qui forge l’identité des Français juifs, la convocation du grand sanhédrin en 1807 par Napoléon. Selon lui, ce modèle de l’israélite a perduré jusqu’au grand chamboulement coïncidant avec Auschwitz (terme qu’il préfère à celui de Shoah) et Israël.

Là débutait la seconde partie de son exposé. Maniant avec précision les notions souvent incomprises d’intégrationnistes et de multiculturalisme, Éric Zemmour détailla comment une nouvelle religion liée à la culpabilité face à Vichy (au passage qu’il dit moins antisémite que les élites restées à Paris) était née avec Auschwitz ainsi qu’une rupture par la défrancisation liée à l’attachement à l’égard d’Israël. ‘‘Nous sommes sortis de l’israélitisme de la Victoire’’ concluait-il avant de prédire que la rupture avec le modèle français historique pour la communauté juive ne pouvait que la porter ‘‘à quitter ce pays au bord de la guerre civile’’.

Et vint le moment du "débat" entre les deux conférenciers, ponctué par les questionnements de Gilles Bernheim sur la polémique présente dans le dernier livre d’Éric Zemmour, Le Suicide français dans lequel il réhabilite Vichy, considéré comme le "sauveur" des juifs français au détriment des juifs étrangers. Droit dans ses idées, le polémiste Éric Zemmour a livré sa vision de l’histoire de Vichy selon sa grille idéologique qui heurte les consciences : Vichy a protégé les Juifs français, car 90 % d’entre eux ont survécu, les statuts des Juifs n’ont tué personne, Pétain comme de Gaulle sont dignes d’admiration, les Juifs d’Europe centrale sont responsables de l’antisémitisme dont ils étaient les victimes en prenant le travail des ‘‘Français’’ [...] En résumé, des propos donnant la nausée ». [3]

La manœuvre zemmourienne est délicate et périlleuse. D’une pierre elle vise plusieurs coups : confisquer à la droite nationale son discours et ses thèmes, rattacher la droite pro-israélienne à la tradition nationaliste française, préserver les droits des israélites de France (qu’on appelait les « juifs de vieille souche ») et conjurer une éventuelle « remontée de l’antisémitisme » qui mettrait en question ces droits.

Terre et peuple Magazine a publié le 5 juillet 2010 un article analysant les « Grandes manœuvres juives de séduction à l’égard de l’extrême droite européenne ». La lecture de ce texte permettait déjà à l’époque une compréhension assez nette du rôle et surtout du discours d’Éric Zemmour. Je reproduis ici un extrait qui jette une lumière éclairante sur le zemmourisme qui était encore en gestation :

« Au sein de la communauté juive, beaucoup s’inquiètent des sombres perspectives qui s’offrent à elle. En Israël, où l’évolution démographique, compte tenu des différences de taux de natalité chez les Juifs et chez les Arabes, va donner arithmétiquement à ces derniers, à plus ou moins long terme (en fait, dans quelques années), une position majoritaire.

Qu’adviendra-t-il le jour où cette masse se révoltera violemment ? La situation est tout aussi inquiétante en ce qui concerne la diaspora : en France et dans bien d’autres pays où l’immigration arabo-musulmane progresse sans cesse, les Juifs ressentent un sentiment d’insécurité… Face à ces menaces, qui ne relèvent en rien de la science-fiction, certains milieux juifs ont le souci, pour renforcer leur potentiel ‘‘militaire’’ d’autodéfense, de faire flèche de tout bois, y compris en essayant de trouver des alliés – ou plutôt des troupes supplétives de type ‘‘harkis’’ – au sein de l’extrême droite européenne. En utilisant un argument simple mais efficace auprès des naïfs : tous ceux qui ont à faire face à la menace arabo-musulmane doivent s’unir à travers le monde, en oubliant d’éventuels griefs qui sont désormais d’importance secondaire ». [4]

Mais la manœuvre est plus vaste que cela. Elle réunit toutes les dimensions de la question juive. La compréhension de ce dossier complexe nécessite donc de retracer l’histoire des juifs de France depuis la Révolution de 1789 et d’examiner le rôle que les organisations israélites ont joué durant l’occupation allemande.

Le statut des juifs : de 1791 à Pétain

Éric Zemmour n’est pas un juif de vieille souche française, mais il se greffe à ce « corps » à qui la République a tout donné.

L’Assemblée constituante a voté en 1791 (la monarchie est abolie le 21 septembre 1792, mais le roi Louis XVI n’a déjà plus de pouvoir effectif), dès le lendemain de la Révolution, la pleine égalité des droits aux juifs. L’émancipation juridique fait suite à une demande des juifs eux-mêmes. Le 28 janvier 1790, les députés juifs de France et le syndic général des juifs adressent une pétition à l’Assemblée nationale, en vue de leur émancipation, c’est-à-dire la jouissance des droits de citoyenneté :

« Pétition des juifs établis en France adressée à l’Assemblée nationale, le 28 janvier 1790, sur l’ajournement du 24 décembre 1789, par les députés Mayer-Marx, Ber-Isaac-Berr, David Sintzheim, Lazare-Jacob, Trenelle, et le Syndic-Général des Juifs Théodore-Cerf-Berr ». [5]

Le 16 avril 1790, le Roi Louis XVI proclama :

« Sur un Décret de l’Assemblée nationale, concernant les Juifs : L’Assemblée nationale met de nouveau les Juifs de l’Alsace & des autres provinces du Royaume, sous la sauvegarde de la Loi : défend à toutes personnes d’attenter à leur sûreté ; ordonne aux Municipalités & aux Gardes nationales de protéger, de tout leur pouvoir, leurs personnes & leurs propriétés. » [6]

La République et la synagogue contre l’Église

Dans la séquence historique où les révolutionnaires français émancipaient les juifs, ils soumettaient l’Église avec la Constitution civile du clergé votée par l’Assemblée constituante, le 12 juillet 1790. Un texte qui prévoyait l’élection des curés et des évêques par les fidèles, évinçant ainsi le pouvoir du pape. Ce qui revenait à soumettre les églises françaises à la République, tandis qu’on affranchissait la synagogue. C’est ce qui explique que, depuis 1808, les juifs de France récitent une prière pour la République française dans les synagogues consistoriales. Une prière récitée durant l’office public du Chabat matin, entre la prière Cha’arit et celle de Moussaf. [7]

La République a élevé la synagogue tandis qu’elle persécutait l’Église catholique. Dans l’ouvrage collectif et politiquement correct Histoire de l’extrême droite en France dirigé par Michel Winock, avec les contributions de Jean-Pierre Azéma, Pierre Birnbaum, Pierre Milza, Pascal Perrineau, Christophe Prochasson et Jean-Pierre Rioux, on apprend que durant la période de fureur anticatholique, sous la IIIe République, à la suite de la loi de 1905, il y eut une forte mobilisation populaire « face à un haut fonctionnaire juif appliquant la législation nationale portant, par exemple, sur le retrait des crucifix (ainsi, dans le Calvados, où Albert Hendlé est en poste de préfet), on assiste aux mêmes débordements [NDA : qu’au temps de l’affaire Dreyfus] s’étendant jusque dans les plus petites localités du monde rural, sous l’action tout aussi radicale de la Jeunesse catholique, de la Ligue des femmes françaises, etc. » [8]

Ce préfet (en poste de 1909 à 1917) de confession juive, dont le nom complet est Albert Samson Hendlé, est le fils d’Ernest Hendlé (1844–1900), un membre de la franc-maçonnerie [9] qui fut préfet (de 1871 à 1890) après avoir été secrétaire particulier du ministre des Affaires étrangères (1870) dès l’instauration de la IIIe République. Ernest Hendlé fut également l’auteur d’un ouvrage titré La Séparation de l’Église et de l’État (Le Chevalier, Paris, 1869), paru 36 ans avant la loi éponyme. Cette loi de 1905, dite de séparation des Églises et de l’État, avait pour but, et elle y a réussi, de détruire l’Église catholique et son influence en France.

Après avoir détruit l’Église catholique de France, les judéo-républicains suggèrent aux catholiques de se lancer dans une guerre contre les musulmans, pour le compte de leurs ennemis communs. En judéo-républicain conséquent, Éric Zemmour propose donc ceci aux catholiques le 29 octobre 2020 sur CNews :

« Il faut que les gens de cette tradition catholique et les gens de la tradition des Lumières jusqu’à la tradition de Charlie – tout ça, c’est le versant révolutionnaire, laïcard, athée – s’allient. Il faut que l’on retrouve nos fondamentaux. Les islamistes eux-mêmes nous ramènent à ces fondamentaux. C’est le paradoxe fou de cette histoire ». [10]

Napoléon et le Sanhédrin

Zemmour le dit, l’écrit, le répète sans cesse : c’est Napoléon qui a encadré l’émancipation des juifs « à l’issue de la célèbre réunion du Sanhédrin en 1807. Au-delà des diverses questions posées par l’Empereur à propos de l’interdit sur les mariages mixtes ou les prescriptions alimentaires dans la Grande Armée, il exhortait avant tout les juifs à considérer les autres Français comme des "frères" et Paris, comme leur nouvelle Jérusalem. Je suis simplement, écrit Zemmour, resté fidèle à cette injonction impériale » [11].

Zemmour nous présente une version romancée et idyllique de cet épisode historique. Il tente de faire accroire que cet engagement pris devant l’Empereur par le Sanhédrin faisait force de loi pour les juifs, instaurant une tradition spécifique aux israélites de France. Napoléon s’illusionnait, il imaginait avoir devant lui un Vatican juif et que les mots prononcés et écrits par cette « autorité » religieuse équivalaient à ceux d’un concile.

Bernard Lazare (1865-1903), français juif de vieille souche française, contrairement à Zemmour, rappelle la réalité historique :

« Étant premier consul, Napoléon avait négligé de s’occuper du culte juif, il voulut réparer cet oubli et il convoqua une assemblée de notables juifs dont le rôle devait être de "délibérer sur les moyens d’améliorer la nation juive et de répandre parmi ses membres le goût des arts et des métiers utiles", et d’organiser administrativement le judaïsme. Un questionnaire fut distribué aux notables juifs et après qu’il y eut été répondu, l’Empereur réunit un Grand Sanhédrin chargé de conférer aux réponses de la première assemblée une autorité religieuse. Le Sanhédrin déclara que la loi mosaïque contenait des dispositions religieuses obligatoires et des dispositions politiques, ces dernières concernaient le peuple d’Israël lorsqu’il était un peuple autonome, et elles avaient perdu leur valeur depuis que les Juifs étaient répandus parmi les nations, il défendit de faire, à l’avenir, distinction entre Juifs et chrétiens en ce qui concernait les prêts, et il interdit toute usure.

Ces déclarations montraient que les notables juifs, appartenant pour la plupart à cette minorité dont j’ai parlé (une minorité qui avait d’autres aptitudes que la majorité des juifs, lesquels étaient des improductifs, c’est-à-dire des brocanteurs, des prêteurs d’argent, des usuriers), savaient s’accommoder au nouvel état de choses, mais elles ne pouvaient en rien faire préjuger des dispositions de la masse.

Là Napoléon se trompa ; son amour de l’ordre, du règlement et de la loi, sa croyance à leur efficacité l’abusa. Il s’imagina, sans doute, qu’un Sanhédrin était un concile, il n’en était rien. Les décisions du Sanhédrin n’avaient absolument que la valeur d’opinions personnelles, elles n’engageaient nullement les Juifs, elles n’avaient aucune autorité et il n’était pas de sanctions pour les faire prévaloir. La seule œuvre de cette assemblée fut une œuvre administrative, celle de l’organisation des consistoires ; quant à l’œuvre morale, elle fut nulle, et les hommes qui avaient été réunis étaient incapables de changer des mœurs. Ils le savaient d’ailleurs fort bien, et ils ne purent qu’enregistrer des choses acquises ; ainsi abolirent-ils la polygamie, qui depuis des siècles n’était plus pratiquée.

Pour croire qu’un synode a le pouvoir d’imposer l’amour du prochain, ou d’interdire l’usure qu’un état social facilite, il fallait la candeur de légiste de Napoléon [...]. [12]

Le décret Crémieux

La famille d’Éric Zemmour, comme tous les autres juifs algériens, devint française, dès l’instauration de la IIIe République, en 1870. Les juifs algériens – au nombre de 35 000 – acquirent la nationalité française par un décret émis par le ministre de la Justice de l’époque, Isaac-Jacob Adolphe Crémieux, un juif français qui fut également un haut dignitaire de la franc-maçonnerie et le président fondateur de l’Alliance israélite universelle. [13]

Le géographe français Onésime Reclus (1837-1916) écrira à propos de cette naturalisation des juifs algériens :

« Les Juifs algériens n’avaient certes pas mérité cette faveur exceptionnelle, occupés qu’ils étaient uniquement de banque, de commerce, de courtage, de colportage et d’usure.

Nul d’entre eux ne tient la charrue, n’arrose les jardins ou ne taille les vignes, et il y a très peu d’hommes de métier parmi ces arrière-neveux du supplanteur [14] d’Ésaü ». [15]

Georges Bernanos (1888–1948), écrivain catholique et légitimiste est revenu sur cette période historique qui a vu les juifs d’Algérie naturalisés, tandis que les musulmans étaient, à côté d’eux, des non-citoyens (les points de suspensions correspondent à des passages retirés qui présentent un risque) :

« Au cours de la guerre de 1870, les fantassins arabes, dont la conduite fut héroïque, particulièrement à Wissembourg et à Woerth, étaient devenus populaires sous le nom de ‘‘turcos’’.

Le nouveau régime se contenta de les démobiliser, mais (...) Adolphe Crémieux, membre du gouvernement provisoire et fondateur de l’Alliance israélite universelle, décida de naturaliser en bloc, par décret, tous les juifs d’Algérie qui n’avaient pourtant pas donné un homme à la défense nationale. La qualité de français, refusée à la race autochtone en dépit du sang versé, était octroyée brusquement à des (...) devant lesquels une femme musulmane dédaigne de se couvrir la tête, et si méprisés qu’un (…)

« À Bou-Saada, écrit Guy de Maupassant, on les voit accroupis (...), guettant l’Arabe (...). Ils l’appellent, essaient de lui prêter cent sous contre un billet qu’il signera. L’homme sent le danger, hésite, ne veut pas ; mais le désir de boire et d’autres désirs encore le travaillent : cent sous représentent pour lui tant de jouissances ! Il cède enfin, prend la pièce d’argent et signe le papier (...). Au bout de six mois il devra dix francs, vingt francs au bout d’un an, cent francs au bout de trois ans. Alors le (… )fait vendre la terre s’il en a une ou, sinon, son chameau, son cheval, son bourricot, tout ce qu’il possède enfin ».

Ajoutons qu’ils avaient abondamment fourni d’espions, durant la guerre, l’état-major prussien préoccupé d’entretenir l’agitation parmi les tribus insoumises du sud. À l’annonce du désastre de Sedan, on avait vu cette foule (...), éclater en transports de joie, traîner sur le pavé, au milieu des danses et des rires, le buste de l’Empereur vaincu.

Comment la population arabe eut-elle accueilli sans révolte la provocation, à la vérité inconcevable, d’un de ceux que (...), et devenu à Paris, grand vizir ? L’insurrection éclata lorsqu’en 1871 les Israelites commencèrent d’exercer les fonctions de jurés. (...) » [16]

L’Occupation et le statut des juifs

70 ans après sa promulgation, le gouvernement de Vichy abolit le décret Crémieux en octobre 1940. La nationalité française est alors immédiatement retirée aux juifs d’Algérie.

Le 7 octobre 1940 est promulgué le « statut des juifs » ; le 8 octobre 1940, le décret Crémieux est aboli par Marcel Peyroutou, ministre de l’Intérieur ; le 11 octobre les juifs n’ont plus le droit de se faire naturaliser individuellement ; et le 21 juin 1941 est promulgué le « second statut des juifs ».

Dans l’année 1940, près de 500 professeurs ou instituteurs sont renvoyés des écoles. Près de 20 000 élèves sont exclus des écoles publiques. Le 19 octobre 1942, une loi réduit le numerus clausus à 7 % des élèves juifs dans l’enseignement public.

Mais dans ce contexte, le rôle des organisations israélites françaises fut très important, et il faut s’y attarder.

Le rôle des organisations israélites dans la collaboration

Les israélites, aussi appelés juifs de vieille souche française, tenaient très fortement à leur statut et à leur place en France. Ils n’entendaient laisser aucune force, ni aucune communauté juive étrangère, remettre en cause leur position dans cette terre promise qu’est la France.

L’histoire des juifs de France depuis la Révolution de 1789, que j’ai retracée à grands traits, permet de comprendre l’attitude des israélites vis-à-vis des juifs étrangers, avant et pendant l’occupation allemande de la France. 

Les élites israélites de France contre les immigrés juifs

En 1933, quatre mois après l’arrivée d’Adolphe Hitler au pouvoir, Jacques Helbronner, membre important du Consistoire central israélite de France, voyait d’un œil inquiet l’installation en France des réfugiés juifs venus d’Allemagne et d’ailleurs :

« La France, comme n’importe quel autre pays, a ses chômeurs, et tous les réfugiés juifs d’Allemagne ne méritent pas de rester… S’il y a 100 à 150 grands intellectuels qu’il vaille la peine de garder en France car ce sont des scientifiques ou des chimistes qui détiennent des secrets que nos propres chimistes ignorent, nous les garderons, mais les 7 000, 8 000, peut-être 10 000 Juifs qui arriveront en France, est-il vraiment dans notre intérêt de les garder ? » [17]

En 1936, Jacques Helbronner, devenu depuis vice-président du Consistoire, accusa les réfugiés juifs de n’être que « de la racaille, le rebut de la société, des éléments qui n’auraient pu être d’aucune utilité chez eux » [18].

En 1935, Robert de Rothschild, président du Consistoire de Paris, critiqua les juifs immigrés dans un discours tenu devant l’assemblée générale de l’Association consistoriale israélite de Paris. Il les accusa de former un État dans l’État :

« Ils arrivent parmi nous avec leurs souvenirs de Pologne, de Roumanie, ou n’importe où, et forment un nouveau petit État indépendant… C’est extrêmement dangereux parce qu’il faut que les éléments étrangers tâchent de s’assimiler le plus possible aux éléments français, surtout en ce moment-ci où, avec la crise qui sévit en France, avec le particularisme qui sévit partout, avec le nationalisme, est née une xénophobie qui dégénère malheureusement en antisémitisme, puisque 95 % des étrangers sont des Juifs. J’ai eu la charge de la question des réfugiés allemands et vous le savez peut-être, ce sont les haloutzim (pionniers : terme désignant les défricheurs de terres en Palestine) plus ou moins sionistes qui ont installé de petites communautés en province, ont dressé des jeunes gens à l’agriculture pour en faire des candidats utiles pour l’émigration en Palestine. Au commencement, deux d’entre eux, Saltiel et Lichtenstein, s’en occupaient, ils ont été appelés en Palestine, et cette organisation est restée entre les mains d’autres personnes. Il y avait une colonie à Nazareth, une commune de France au nom prédestiné, en Lot-et-Garonne. Tout allait très bien et les jeunes gens se sont amusés à se promener partout en chantant des hymnes et en se livrant à des manifestations extrêmes. Ils ont réussi à choquer la population, la brave population paysanne. On disait : "Ce sont des Boches". Le résultat en a été de graves difficultés. Eh bien ! Il faut que les Juifs se mettent ceci dans la tête : nous avons été étrangers sur la terre d’Égypte. En attendant qu’ils s’adaptent, qu’ils soient naturalisés, qu’ils aient fait leur service militaire, qu’ils aient, en somme, leurs lettre patentes de Français, il faut qu’ils s’arrangent pour ne pas donner sujet à des observations. Ils peuvent avoirs des idées politiques, mais qu’ils n’essayent pas, d’une façon ou de l’autre, de saper l’autorité. S’ils ne sont pas contents, qu’ils s’en aillent. Ils sont des invités qu’on reçoit avec plaisir, mais il ne faut pas qu’ils cassent la vaisselle ». [19]

Paula Hyman donne un autre extrait de ce même discours de Roger de Rothschild :

« Avec la crise qui fait rage en France, est née une xénophobie qui dégénère trop facilement en antisémitisme. Nous qui sommes chargés de défendre les intérêts de la communauté israélite, nous alertons nos coreligionnaires, récemment immigrés et encore trop insuffisamment familiarisés avec la mentalité et les coutumes françaises, de ce danger. Il est essentiel que les éléments étrangers s’assimilent au plus vite aux éléments français. Jusqu’à ce qu’ils s’adaptent, jusqu’à ce qu’ils soient naturalisés et qu’ils aient accompli leur service militaire, personne ne leur interdit leurs propres idées ou leurs préférences, mais qu’ils s’abstiennent de toutes manifestations politiques. On ne discute pas le régime d’un pays auquel on demande l’hospitalité ». [20]

Emmanuel Berl, juif français qui deviendra la plume du Maréchal Pétain, qualifie les juifs étrangers d’« immigration de déchets » et de « véritable catastrophe pour la France », en 1938, dans un numéro de ses Pavés de Paris. [21]

Dans une interview publiée dans le journal Matin du 18 novembre 1938, le grand rabbin de Paris Julien Weill refusait d’accueillir les 600 000 Juifs allemands. Il fallait, disait-il, empêcher que les Juifs français ne soient les cibles de la vindicte publique et traités de fauteurs de guerre. Il y avait déjà trop de réfugiés en France, et il était préférable de les faire partir pour les États-Unis selon le grand rabbin de Paris. [22]

Le Consistoire contre les juifs de gauche « attisant l’antisémitisme »

La montée de l’antisémitisme et la remise en cause de leur position, était une préoccupation majeure pour les élites israélites. À tel point qu’en 1936, juste après les élections qui ont donné la victoire au Front populaire, le grand rabbin de Paris serait aller supplier Léon Blum de ne pas briguer la présidence du conseil pour ne pas attiser l’antisémitisme. [23]

En 1937, lorsque Jules Moch fut nommé par Léon Blum au sous-secrétariat d’État à la présidence du Conseil, le journaliste et homme politique républicain Henri de Kérillis s’en étonna dans L’Écho de Paris (du 28 mai) : « On dirait que M. Léon Blum veut ranimer par ses exagérations un de ces violents accès d’antisémitisme qui ont parfois déferlé sur le pays ».

Le lendemain, Edmond Bloch lui répondait dans le même journal : « Combien, hélas, vous avez raison. Il n y a pas une réserve à faire à tout ce que vous dites ».

L’historien et journaliste Jean-Claude Valla, qui a consacré un ouvrage à cette période historique titré Ces juifs de France qui ont collaboré, écrit qu’il « est probable que le Consistoire aurait préféré que ce ne fut pas un Juif qui accédât au pouvoir, surtout pas ce grand bourgeois révolutionnaire qui se prêtait si bien à la caricature. À Paris, lors des législatives de 1936, le Consistoire a soutenu en sous-main un candidat proche des Croix de feu, Edmond Bloch, fondateur de l’Union patriotique des Français israélites ».

Son manifeste fut publié dans Le Temps le 16 juin 1936 : « Les Français de confession israélite affirment, comme ils l’ont toujours affirmé, que la première des solidarités humaines qu’ils pratiquent est la solidarité nationale ».

Dans un premier temps, rapporte Jean-Claude Valla, cette initiative fut bien accueillie, notamment par La Tribune juive Strasbourg-Paris, organe de la communauté juive d’Alsace qui invita ses lecteurs à y adhérer (numéro du 1er mai 1936). « Mais le Consistoire s’émut. Il n’avait jamais apprécié que les Juifs politisent leur appartenance religieuse, surtout de façon aussi intempestive. Raymond-Raoul Lambert le fit savoir dans L’Univers israélite du 26 juin ».

La Tribune juive Strasbourg-Paris fit volte-face dans son numéro du 22 juillet, accusant Edmond Bloch d’avoir « pris l’habitude de ses amis antijuifs, les Maurras et les Vallat ».

D’ailleurs, Raymond-Raoul Lambert avait critiqué sévèrement Bernard Lecache, le fondateur de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, ancêtre de la LICRA) qui avait félicité Léon Blum de n’avoir « jamais renié sa race » (Le Droit de vivre, le 15 février 1936).

D’une manière générale, « l’activisme débridé de la LICA déplaisait fort au Consistoire ». [24]

Cette période historique illustrant l’opposition des deux ailes du judaïsme politique éclaire la nature de l’opposition d’un Zemmour et d’un BHL que j’ai analysée dans un autre article. [25]

Zemmour et BHL sont les héritiers de ces deux tendances du judaïsme français, respectivement les israélites discrets sur leur judéité, et le judaïsme de gauche, tapageur, revendicatif et subversif. C’est cette deuxième tendance qui a pris le dessus à partir de Mai 68. Aujourd’hui, les représentants de l’israélitisme, les juifs de droite, revient sur le devant de la scène avec Zemmour et tiennent un discours visant à contenir le judaïsme de gauche qu’ils ont toujours considéré comme une des sources de l’antisémitisme.

L’opposition entre Zemmour et BHL a une motivation principale : préserver les juifs de l’antisémitisme et de la disgrâce. Chacune des deux tendances accusant l’autre d’en être responsable.

Le Consistoire collabore avec Vichy

Le Consistoire central de France a été présidé, jusqu’à l’armistice du 22 juin 1940, par le baron Édouard de Rothschild. Il a obtenu pour lui et son cousin, Roger de Rothschild, président du Consistoire de Paris, un sauf-conduit pour franchir la frontière espagnole le 23 juin 1940 et se réfugier aux États-Unis. En conséquence, c’est Jacques Helbronner (membre du Conseil d’État jusqu’à la promulgation du premier statut des juifs le 3 octobre 1940), que nous avons mentionné plus haut, qui est devenu président du Consistoire central de France le 17 mars 1941.

Jacques Helbronner et le Consistoire central se sont replié à Lyon. Proche du Maréchal Pétain, le président du Consistoire n’a cessé de le rencontrer régulièrement. Vingt-sept entretiens, de son propre aveu, entre le 10 juillet 1940 et le 1er juillet 1941. [26]

Le 2 décembre 1940, Jacques Helbronner « prit l’initiative de réunir ses collègues du Consistoire dans une villa de Chamalières (Puy-de-Dôme) et, en présence du grand rabbin de France Isaïe Schwartz, leur demander d’accepter en silence les mesures qui les frappaient, sans rien faire qui puisse gêner l’œuvre de redressement patriotique entreprise par le Maréchal à la suite d’une défaite sans précédent dans l’histoire de France ». [27]

La collaboration entre entre le Consistoire et le régime de Vichy est active et sans ambiguïté. Le 7 avril 1941, Jacques Helbronner est reçu pendant une heure par Xavier Vallat, le commissaire général aux Questions juives. Accueil « charmant et cordial, collaboration confiante, promesses favorables », écrira Helbronner à Albert Manuel, secrétaire général du Consistoire [28]. Le 25 avril 1941 Helbronner rencontre à nouveau Xavier Vallat pendant deux heures et demie.

Le 4 mai 1941 est signé par le grand rabbin de France et les quarante-huit membres du Consistoire centrale le texte d’une résolution dont voici un extrait :

« Les Français israélites veulent encore croire que les persécutions dont ils sont l’objet son entièrement imposées à l’État français par les autorités occupantes, et que les représentants de la France s’efforcent d’en atténuer au maximum les rigueurs. » Le Consistoire central israélite « demande au chef de l’État, dans le souci de la vérité et de leur dignité d’hommes, que les mesures en réparation ne soient pas présentées à l’opinion comme une décision gouvernementale, uniquement dictée par des raisons d’intérêt national, mais comme une rançon exigée par des pressions extérieures, comme un sacrifice dont bénéficiera la communauté française tout entière… Ainsi, les Français israélites auraient conscience de servir une fois de plus leur pays : ce serait leur seule consolation, en attendant l’heure de la réparation qu’ils espèrent de la justice ». [29]

Au congrès rabbinique réuni à Chamalières les 10 et 11 septembre 1941, le grand rabbin de France Isaïe Schwartz évoqua sa récente rencontre avec le Maréchal :

« Pétain a été un moindre mal. Par l’éclat de son nom, il nous a préservés du pire. » [30]

La création et le rôle de l’Union générale des israélites de France (UGIF)

Le 29 août 1941, une lettre de l’administration militaire allemande au Commissariat général aux Questions juives posa le problème des secours à apporter aux femmes et aux enfants juifs étrangers dont les pères de famille avaient été raflés les 20, 21, 22 et 23 août. L’occupant allemand exigeait que cette assistance fût assurée par une organisation israélite comprenant obligatoirement comme membres cotisants tous les Juifs de la zone occupée.

Il a été donné au gouvernement français jusqu’au 25 septembre pour légiférer et mettre en place l’organisation. Faute de quoi, une ordonnance serait promulguée. « Le texte, déjà prêt, fut montré à Xavier Vallat qui s’en inquiéta : les Allemands prévoyaient, en effet, de désigner eux-mêmes les dirigeants de cette association, conçue sur le modèle de la Reichsvereinigung der Juden in Deutschland [31] et des Judenräte déjà installés en Pologne [32] ». [33]

Pour éviter cela, Xavier Vallat créé l’Union générale des israélites de France (UGIF) dont il voulait confier la présidence à Jacques Helbronner. Ce dernier refusa mais « accepta tout de même le principe de la création d’une association regroupant tous les israélites résidant en France, sous réserve que cet organisme n’englobât pas le Consistoire, lequel devrait impérativement conserver son indépendance et continuer à régir l’administration du culte, conformément aux termes de la loi de 1905 ». [34]

Le Consistoire, qui avait de très bons rapports avec le régime de Vichy, accepta donc le principe de la création de ce qui deviendra l’UGIF, mais avec un œil méfiant car craignant de voir cette organisation le supplanter. En général, les élites israélites accompagnèrent le projet. Plusieurs notables juifs, surtout ceux de zone occupée, ont immédiatement compris qu’ils avaient tout intérêt à soutenir cette initiative.

« Ce fut le cas d’André Baur, qui avait pris le risque de s’engager dans un Comité de coordination des œuvres de bienfaisance juives du Grand-Paris, créé le 31 janvier 1941 sous le contrôle des Allemands. Il n’avait que 37 ans, mais ce fils d’une riche famille israélite de Paris ne manquait pas de poids dans la communauté. Il était, en effet, le petit-fis de l’ancien grand rabbin de France Emmanuel Weill, petit-neveu d’un autre grand rabbin, Jacques Dreyfus. L’un de ses oncles était le grand rabbin de Paris Julien Weill. Un autre était le professeur Benjamin Weill-Hallé. Sa tante avait épousé Albert Manuel, secrétaire général du Consistoire, et il avait lui-même présidé la Congrégation réformée de la rue Copernic dont l’une des personnalités marquantes n’était autre que son beau-père, le Dr Pierre Kahn ». [35]

Après avoir soumis à André Baur le brouillon du texte de loi qu’il envisageait de soumettre au gouvernement, Xavier Vallat fit venir à Vichy, le 23 septembre 1941, Raymond-Raoul Lambert, l’ancien rédacteur en chef de L’Univers israélite. Capitaine de réserve, chevalier de la Légion d’honneur, ami de Jacques Rudnansky, l’une des plus éminentes personnalités dirigeantes de l’Alliance israélite universelle, Lambert avait participé à la Grande Guerre, puis à celle de 39-45. Dès 1934, souligne Richard Cohen de l’université hébraïque de Jérusalem [36], Raymond-Raoul Lambert avait « réclamé une politique d’immigration qui n’encombrerait pas la France de toute la vague de réfugiés, décentraliserait l’immigration à travers la France et imposerait certaines restrictions à l’activité des nouveaux venus. Il était d’avis que les immigrés devraient s’assimiler à leur nouvelle société en rejetant leurs particularités, en acceptant la tutelle de la communauté autochtone et en se faisant le plus discrets possible jusqu’à ce qu’ils manient parfaitement la langue et soient intégrés à l’environnement français ». [37]

L’Union générale des israélites de France (UGIF) – un établissement public autonome doté d’une personnalité civile – voit le jour le 29 novembre 1941. Restait à désigner les membres du conseil d’administration ; les deux conseils pour être plus précis, l’un pour la zone occupée, l’autre pour la zone libre. Xavier Vallat trouva facilement neuf volontaires : André Baur, Georges Edinger, Fernand Musnik, Juliette Stern, Benjamin Weill-Hallé, Marcel Stora, Alfred Morali, Lucienne Scheid-Haas et Albert Weill.

Georges Edinger, dont le père, Léon Edinger, avait été président des temples consistoriaux, était membre du conseil d’administration des Enfants de Sion. Fernand Musnik avait été commissaire général adjoint des Éclaireurs israélites de France. Le professeur de médecine Benjamin Weill-Hallé était l’oncle d’André Baur. Marcel Stora avait été secrétaire particulier de Pierre Laval jusqu’en décembre 1940. Lucienne Scheid-Haas était une ancienne avocate du barreau de Paris. Et Albert Weill, ancien secrétaire de Maurice de Rothschild, avait été, avant la guerre, secrétaire général du Comité de bienfaisance israélite de Paris.

Tous donnèrent « leur accord sans avoir demandé l’avis du Consistoire, alors qu’ils avaient fait preuve jusqu’alors d’une discipline consistoriale sans faille ». [38]

Pour la zone libre, les membres du conseil d’administration de l’UGIF était : Albert Lévy, Raymond-Raoul Lambert, Marcel Wormser, Robert Gamzon, André Lazard, Joseph Millner, Wladimir Schah, Raphaël Spanien et Laure Weill.

Albert Lévy était président du Comité d’assistance aux réfugiés, qu’il avait contribué à fonder en 1936, et membre éminent du Consistoire central. Robert Gamzon, petit-fils du grand rabbin de France Alfred Lévy, avait fondé en 1923 les Éclaireurs israélites de France dont il fut le commissaire général. André Lazard était un ancien sous-préfet. Joseph Millner était une personnalité de premier plan de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants). Wladimir Schah, juif d’origine russe, était l’un des responsables de l’HICEM, une association internationale fondée en 1927 pour faciliter l’émigration des juifs d’Europe centrale, Raphaël Spanien était lui aussi une personnalité éminente de l’HICEM.  [39]

L’UGIF, « instrument au service de l’antisémitisme » et responsable de la déportation d’enfants juifs

L’UGIF ne tarda pas à jouer son rôle dans l’arrestation de juifs. En 1943, une affaire de juifs s’étant échappés du siège de la Gestapo conduit l’UGIF à les rechercher et les livrer, avec l’approbation du Consistoire. Le bureau du Consistoire, saisi de la question, décida qu’« on approuverait de M. Raymond Geissmann (NDA : le directeur régional de l’UGIF) d’informer ses bureaux de Grenoble et la police de cette ville de la présence possible de ces traîtres qui avaient rançonné, entre autres, des familles juives, qu’ils avaient dépouillées de leur avoir ». [40]

Un des membres du Consistoire, Samy Lattès, estimait que le Consistoire n’aurait jamais dû se mêler d’une affaire policière qui avait abouti à la livraison d’un juif, fût-il un criminel, à la police allemande. Et d’ajouter :

« Une des raisons qui ont incité le Consistoire à interdire à ses membres d’entrer dans l’UGIF n’était-elle pas précisément que la loi faisait d’elle un instrument au service de l’antisémitisme et que cette institution pouvait être amenée un jour à désigner des otages ou à collaborer à des opérations militaires ? » [41]

L’UGIF avait « contribué à répandre des illusions légalistes et à donner aux juifs un chimérique sentiment de sécurité. Des malheureux étaient tombés dans des souricières tendues dans ses bureaux par la Gestapo. Ses compromissions n’avaient même pas empêché l’arrestation de ses propres employés à qui l’immunité avait pourtant été promise ». [42]

Le juif sioniste Ruben Grinberg considérait l’UGIF comme « un organe de subordination à l’ennemi, sinon de collaboration involontaire avec lui ». [43]

L’UGIF, qui avait voulu à tout prix garder le contrôle des enfants juifs, « alors qu’il aurait été plus prudent de les confier à des familles non juives, a eu de très fâcheuses conséquences, puisque les dirigeants de l’UGIF avaient été amenés, sous la contrainte, à remettre aux Allemands les listes des enfants qui avaient été regroupés dans des maisons ou foyers. Mais la responsabilité en incombe aux autorités rabbiniques et consistoriales qui craignaient de voir ces enfants, issus de familles incroyantes ou non pratiquantes, donc très malléables, catéchisés par des familles d’accueil catholiques ou protestantes. Il convenait donc de les regrouper et de les rejudaïser par un enseignement approprié. Les Allemands ne pouvaient que s’en féliciter, d’autant que les responsables de l’UGIF n’hésitaient pas à faire rechercher les enfants qui avaient été confiés à des familles chrétiennes. Pis encore, lorsque les services antijuifs de la Gestapo prirent la décision de déporter des enfants regroupés par l’UGIF, ce furent parfois des employés de cet organisme qui se chargèrent de les accompagner jusqu’à Drancy. Les enfants ne furent pas les seules victimes. À Marseille, si l’on en croit les journaux de la Résistance juive, la Gestapo se serait fait remettre par la direction de l’UGIF les adresses de tous les Juifs assistés de la ville, lesquels, après avoir été convoqués individuellement, auraient été purement et simplement arrêtés ». [44]

Ainsi, l’on pouvait lire dans un de ces journaux, Notre Voix [45] (numéro du 14 février 1944) :

« L’UGIF a désarmé moralement les masses juives de France, elle leur a fait croire que l’on pouvait défendre la vie et les biens juifs tout en restant sur le plan de la légalité. Elle a déshonoré les Juifs de France par une collaboration avec l’ennemi le plus sanguinaire que le peuple juif ait jamais connu ».

Lors du procès Touvier, en avril 1944, l’ancien résistant Jean Ebstein-Langevin a raconté comment dix-huit dirigeants de l’UGIF « avaient négocié à Lyon, avec Klaus Barbie, la protection des juifs français, en livrant au même Barbie une liste, dressée par eux, de Juifs étrangers ». [46]

C’est ainsi qu’il faut comprendre le positionnement de Zemmour vis-à-vis du Maréchal Pétain. Quand Zemmour affirme que « Pétain a sauvé les juifs français », il faut entendre : « Les israélites de France ont donné à l’Allemagne nazie les juifs étrangers qui les mettaient en danger, et ont ainsi sauvegardé leur position privilégiée en France, et par suite, ma position à moi, Éric Zemmour, naturalisé par le judéo-républicain Crémieux et profitant des largesses de la République et du système oligarchique ».

Les camps, les kapos juifs et la traque des juifs étrangers

Dans le camps de Drancy, l’administration interne était confiée à certains détenus, de préférence anciens combattants. Robert Blum, le plus ancien dans le grade le plus élevé, était devenu une sorte de kapo en chef, signant ses notes de service du titre de « Commandant le camp de Drancy ». [47]

Parmi les cadres désignés du camps on trouve le docteur Abraham Drucker, le père de Michel Drucker, devenu médecin-chef, tandis que la police intérieure était confiée à René Dreyfus.

Outre la gestion du camp, « des missions extérieures » étaient confiées à un juif viennois, Oscar Reich, assisté d’un autre juif autrichien, Wulfstadt, dit Samson. Ce bureau, comptant quarante personnes, était chargé de traquer des juifs dans Paris. Tous volontaires. La mission consistait à repérer des juifs étrangers dans les rues de Paris. L’un des volontaires, un certain Lévy, utilisait un stratagème :

« J’avais une cigarette et je demandais du feu à tous ceux que je rencontrais et qui me paraissaient juifs. Je leur posais la question en yiddish, "Ost fayer ?" Si ce n’était pas un juif, l’homme ne comprenait évidemment pas, mais si c’était un juif de l’Est, celui-ci me donnait du feu et il était immédiatement embarqué par Bruckler, Reich et Samson qui suivaient derrière ». [48]

À cela s’ajoutaient des visites domiciliaires à des adresses données par des détenus du camp. Pour le seul mois d’août 1943, vingt-deux « missionnaires » auraient effectué 570 visites à domicile qui se seraient soldées par soixante-treize arrestations.

Georges Wellers, l’un des dirigeants du Centre de documentation juive contemporaine, accuse ainsi Robert Blum (le kapo en chef du camp de Drancy) :

« En obéissant à des ordres ignobles et criminels, les interprètes et le chef détenu du camp ne risquaient que leur propre déportation. Cependant, par lâcheté et par égoïsme, ils transmettaient et exécutaient les directives allemandes, ils désignaient eux-mêmes les ‘‘missionnaires’’ ». [49]

Quant à Abraham Drucker, il accompagna des officiers SS et quelques physionomistes sur la Côte d’Azur. Le père de Michel Drucker et les physionomistes étaient chargés de repérer leurs coreligionnaires et, en cas de doute, de vérifier, sous les porches des immeubles, si les hommes interpellés étaient circoncis ou non. Ainsi, plus de 2 000 juifs auraient été arrêtés à Nice et transférés à Drancy entre le 28 septembre 1943 et le 12 janvier 1944. [50]

[...]

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- Source : E&R

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