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L’État Profond fomente-t-il une guerre hybride au Mexique ?

Auteur : Nino Pagliccia | Editeur : Walt | Vendredi, 10 Juill. 2020 - 07h33

Le document qui a fait l’objet de fuites est clairement présenté comme un « plan d’action » visant à évincer Lopez Obrador. Cela devrait se produire en deux étapes : tout d’abord, suivant un processus d’apparence démocratique en remportant les élections législatives de 2021, puis en mettant en œuvre un coup d’État parlementaire qui pourrait « destituer le président Lopez Obrador pour 2022 », deux années avant le terme de son mandat.

Un article important, écrit par le journaliste Ben Norton, a été publié dans le média en ligne The Grayzone, décrivant le contenu d’un document fuité, qui est « une synthèse analytique du ‘projet BOA’, soulignant ce qu’il présente comme un ‘plan d’action’ – un schéma directeur enchaînant les actions concrètes que l’alliance d’opposition prendra pour éjecter AMLO. » AMLO est le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, et BOA est l’acronyme de Bloque Opositor Amplio (Vaste bloc d’opposition). Le document a été présenté par AMLO en personne lors d’une conférence de presse début juin, et la source de la fuite reste anonyme. Certains des membres supposés de cette « alliance » ont réfuté l’existence d’un tel document. Cependant, son contenu apparaît plutôt crédible au vu du contexte géopolitique de la région.

Qui est Andrés Manuel López Obrador ?

Communément appelé AMLO selon ses initiales, occupe le poste de président du Mexique depuis décembre 2018, suite à l’élection du 1er juillet au cours de laquelle le peuple mexicain lui a accordé une forte majorité, sur un programme de changement des politiques intérieures mexicaines. López Obrador et son parti de gauche, le Mouvement de régénération nationale (Movimiento de Regeneración Nacional – MORENA), a dominé les élections présidentielles et législatives.

López Obrador avait remporté 53,2% des voix lors du scrutin présidentiel, soit plus de 30 points d’avance sur son concurrent le mieux classé, et il était sorti vainqueur dans 31 des 32 États mexicains. Le parti MORENA s’était acquis une solide majorité au Sénat ainsi qu’à la chambre des députés, convoqués le 1er septembre 2018.

AMLO a pris la place du conservateur Enrique Peñas Nieto, sous le mandat duquel le pays avait connu une récession économique et une forte hausse des taux de crime organisé, principalement en lien avec le trafic de drogue : tel est l’héritage qui fut légué à l’administration AMLO. De fait, c’est pour combattre le crime, la corruption, et la pauvreté s’y afférant que son parti et lui-même ont été élus, ce qui n’empêche pas qu’il ait catégoriquement promis de lutter contre le néolibéralisme.

Il a donné pour nom à son projet celui de quatrième transformation, en référence à l’indépendance du Mexique en 1810, la réforme de 1861, puis la révolution mexicaine de 1910. L’un des piliers de son gouvernement a été de respecter la volonté du peuple en organisant des référendums populaires sur les décisions d’importance. C’est une chose qu’il a faite de manière répétée. Cependant, les critiques conservateurs, comme l’institut Cato ont écrit des analyses négatives d’AMLO, critiquant son approche comme du « populisme », ses propositions comme « toxiques », et son mandat comme axé vers une « dictature parfaite ».

Néanmoins, Lopez Obrador dirige encore le pays avec le soutien de 65% du peuple mexicain. Pourquoi un président aussi populaire générerait-il un tel rejet de la part de certains groupes ? Il vaut la peine de regarder de plus près les groupes en question pour mieux s’y retrouver.

Y a-t-il un complot de la part de l’État profond pour renverser AMLO ?

Le rapport qui a fait l’objet d’une fuite contient une liste détaillée de la composition d’une « alliance d’opposition ». Outre la majorité des partis classés à droite, et les anciens présidents Felipe Calderon et Vicente Fox, le bloc d’opposition « affirme également détenir le soutien de la part des gouverneurs de 14 États du Mexique, ainsi que des législateurs de l’opposition siégeant tant au Sénat qu’à la chambre des députés, les juges du tribunal électoral de l’organe judiciaire fédéral (TEPJF), et les dirigeants de l’institut national électoral (INE) ».

Si nous acceptons ce fait, alors dénommer la BOA comme une « alliance d’opposition » comme s’il s’agissait de la formation d’une coalition politique visant à défier le président élu selon les procédés démocratiques est un terme tout à fait inapproprié. Le secret qui caractérise cette alliance n’est pas non plus rassurant du tout.

Au contraire, si nous comprenons que cette entité organisée, qui œuvre clandestinement en dehors des rouages formels de l’État pour exercer une influence et des changements politiques, et qui comporte parmi ses rangs « des organes de presse, ainsi que des journalistes et des influenceurs sur les réseaux sociaux, alors la BOA ressemble plus à ce qui se décrit comme un État profond. Il est d’autant plus troublant qu’elle affirme compter également dans ses rangs des lobbyistes à Washington (à la Maison blanche et au Capitole) et des investisseurs financiers de Wall Street. Il ne manque à la liste que des références à une participation militaire.

Cela constitue-t-il la preuve que quelqu’un fomente une guerre hybride contre le Mexique ?

Le document qui a fuité est clairement présenté comme un « plan d’action » visant à évincer Lopez Obrador. Cela pourrait se réaliser en deux étapes : tout d’abord suivant un processus apparemment démocratique, en remportant les élections de 2021, puis par un coup d’État parlementaire qui pourrait « destituer le président López Obrador pour 2022 », deux années avant la fin de son mandat.

La BOA n’indique pas de fondement légal pour la destitution d’AMLO. Mais cela ne risque pas d’être un fort sujet de préoccupation pour l’instant, car le « plan d’action » décrit une stratégie qui pourra facilement fabriquer un tel fondement. La stratégie pourrait faire usage de « nombreux articles de presse et de journalistes, tant dans les médias nationaux qu’étrangers » pour accuser AMLO avec insistance sur les sujets de « chômage, de pauvreté, d’insécurité, et de corruption » au Mexique.

Le document de la BOA va jusque faire état sans ambiguïté quant au fait que son projet pourrait faire usage de « groupes de réseaux sociaux, et d’analystes, pour insister sur la destruction de l’économie, des institutions démocratiques, et de l’autoritarisme politique du gouvernement des 4T » (il s’agit d’un acronyme désignant le processus de quatrième transition). Ils poursuivent en affirmant : « Répéter ces récits dans les médias étasuniens et européens ».

En d’autres termes, le plan d’action de la BOA vise à organiser une guerre de l’information totale, pour diaboliser le président Lopez Obrador, sans considération pour la réalité et la vérité. Souvenons-nous qu’une guerre de l’information constitue l’une des premières étapes d’une guerre hybride.

Les États-Unis à la manœuvre derrière une possible guerre hybride contre le Mexique ?

Ce n’est pas chose si évidente que cela pour l’instant. Le plan d’action de la BOA pourrait impliquer un appel de soutien à Washington. Cela consisterait à rappeler à l’administration Trump des dangers pour les États-Unis d’une vaste immigration mexicaine vers le Nord. Cela jouerait dans les cordes des sujets auxquels Trump n’a eut cesse de faire référence quant au Mexique, et l’a amené à construire [non pas construire, mais prolonger, le mur existait déjà bien avant Trump, NdT] un mur à la frontière pour contenir les immigrants.

À ce stade, voici quelques points intéressants :

  • L’affirmation par AMLO qu’il « allait vendre de l’essence au Venezuela pour des raisons ‘humanitaires’, s’il en recevait la demande, malgré les sanctions étasuniennes sur le pays d’Amérique du Sud et sa société pétrolière d’État, PDVSA »
  • Le Mexique et le Venezuela ont réussi à mené un plan d’échange pétrole contre nourriture pour contrer les sanctions étasuniennes frappant le Venezuela
  • Une réaction rapide étasunienne, frappant une société mexicaine de sanctions, ainsi qu’une autre société impliquée dans cet échange. Cela avait été suivi d’un article par Reuters selon lequel, d’une manière peu explicable, le Mexique s’était soumis en gelant les avoirs bancaires d’entités et de personnes sanctionnées par les États-Unis.

La séquence d’événements peut suggérer une répétition de la tendance de Washington consistant à faire la chasse contre tout gouvernant qui essaye de briser son siège économique et financier contre le Venezuela, même si cela doit impliquer diverses mesures punitives extra-territoriales visant à déstabiliser l’économie, diaboliser un dirigeant, ou une guerre hybride de grande ampleur.

C’est dans le contexte de ce scénario, déjà en cours, qu’AMLO va se rendre à Washington pour rencontrer Trump en juillet, une démarche qui fait l’objet de fortes critiques au Mexique. Au moment où cet article est écrit, l’information selon laquelle le ministre mexicain des finances, qui a été en contact étroit avec AMLO, a été testé positif au coronavirus, pourrait avoir un impact sur la tenue de cette rencontre à Washington. Si cette rencontre a bien lieu, il sera intéressant de voir comment elle jouera vis-à-vis du plan d’action de la BOA.

Traduit par José Martí relu par Hervé pour le Saker Francophone


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