Le Défenseur des droits recevra ce jeudi deux jeunes sympathisants de la Manif pour tous: il s'agit de la première audition, par les services de Dominique Baudis, qui «veillent au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité», d'opposants au mariage gay s'estimant victimes d'«arrestations arbitraires». Une vingtaine de réclamations individuelles ont déjà été adressées au Défenseur des droits. Mais la Manif pour tous «pense pouvoir lui en envoyer bientôt au moins une centaine d'autres».
Celle de Jean et d'Aurélien est particulière: l'ensemble de la procédure (trois gardes à vue en mai dernier, deux en deux jours pour le premier, une pour le second) a été annulé en juillet par le tribunal correctionnel, pour défaut de base légale. «Tellement les faits étaient ahurissants», souligne leur avocat, Me Grégoire Etrillard. Sa réclamation auprès du Défenseur des droits a pour objet de faire constater les manquements déontologiques ayant eu lieu au cours de cette procédure, et notamment de déterminer l'origine des ordres donnés aux gendarmes et policiers ayant procédé aux interpellations litigieuses.
Car il apparaît clairement que des consignes avaient été données aux gendarmes mobiles et CRS, qui n'avaient pas pour objet de disperser des manifestants, mais bien de les interpeller directement. Dans un procès-verbal que Le Figaro s'est procuré, le gendarme ayant procédé à l'arrestation de Jean, qui a porté plainte pour «rébellion» parce que le jeune homme a refusé de se faire menotter, déclare: «Nous étions déployés pour un attroupement de manifestation non autorisée. Nous avons reçu l'ordre d'interpeller toute personne porteuse de signes distinctifs pour (sic) le mariage pour tous, et surtout si elles tenaient en mains des drapeaux.»
«Porteur d'un fumigène»
Les faits ont eu lieu le soir du samedi 25 mai, veille d'une grande Manif pour tous à Paris. Jean, un jeune ébéniste de 19 ans, venu de Cholet pour le week-end, est arrêté au sein d'un attroupement d'une quarantaine d'individus, près des Champs-Élysées. «Lors de la palpation, il a été trouvé porteur d'un fumigène et de divers tracts contre (sic) la manifestation pour tous», raconte le gendarme dans son PV d'audition. Ce qui lui vaut une garde à vue de près de 48 heures. Sorti le 27 mai à midi, Jean décide d'aller déjeuner au McDo de La Motte-Piquet-Grenelle avec son ami Aurélien, étudiant en maroquinerie, et un autre jeune homme, vêtu d'un sweat-shirt de la Manif pour tous. Mais, à la sortie du métro, il tombe sur «le même capitaine et les mêmes gendarmes que lors de la première interpellation» ! Nouveau contrôle d'identité, au motif qu'ils seraient «sur le passage du convoi présidentiel se rendant au lycée Buffon, un kilomètre plus loin». Jean et Aurélien, qui «n'étaient même pas au courant du déplacement de François Hollande», précise leur avocat, sont tout de même placés 48 heures en garde à vue, car «ils ont notamment eu le malheur de transporter chacun un Opinel, pourtant rangés dans leurs sacs à dos».
«Lors de la première interpellation, il n'y a pas eu la moindre sommation de la part des forces de l'ordre, si bien que le délit de participation à une manifestation non autorisée ne peut se concevoir, rappelle Me Etrillard. Il est très inquiétant que des ordres puissent être donnés d'interpeller des gens qui ne font qu'exercer leur liberté d'expression!» Quant à la deuxième arrestation, «le seul fait de l'éventualité d'un passage d'un convoi présidentiel ne peut suffire à caractériser les contrôles d'identité litigieux», a considéré le tribunal. Aux abords du lycée Buffon, ce 27 mai, 93 manifestants seront interpellés. Cette opération de police, qui n'a pas non plus de base légale, martèle l'avocat, fait l'objet d'une procédure séparée devant le Défenseur des droits. «Ce jour-là, ceux qui ont donné les ordres d'interpellation ont manifestement oublié la loi…», fait remarquer Me Etrillard.
Dans l'entourage du Défenseur des droits, on ne souhaite pas en dire davantage, «puisque l'instruction est en cours». Après les plaignants seront reçus les forces de l'ordre et leurs représentants. La décision du Défenseur - qui pourrait être assortie de recommandations, allant du rappel au règlement jusqu'à la demande de sanction disciplinaire - ne devrait pas intervenir avant la fin de l'année.