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Remodelage du Moyen-Orient: Pourquoi l’ingérence occidentale devrait cesser

Auteur : Elijah J. Magnier | Editeur : Walt | Samedi, 16 Févr. 2019 - 15h20

Chaque intervention étrangère au Moyen-Orient a reconfiguré celui-ci au détriment des interventionnistes. Sa vive contre-attaque a produit l’effet contraire à celui souhaité par les interventionnistes. Un simple coup d’œil à l’histoire récente (les quatre dernières décennies depuis l’expulsion de l’OLP du Liban) permet de dresser une liste cataclysmique : formation du Hezbollah, du Hamas, d’al-Qaeda et de Daech; renversement du régime taliban, de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi, tentative de renversement du président syrien Bachar al-Assad; tentative de division de l’Irak; guerre au Yémen. Cette liste témoigne des ressources incroyables mises à disposition par les USA, Israël, l’Europe et leurs alliés du Moyen-Orient dans l’espoir d’un « changement de régime », tout comme leur incapacité absolue à créer un « nouveau Moyen-Orient ».

Ils ont plutôt réussi à créer des générations de puissants acteurs non étatiques (ou acteurs quasi-étatiques). Ils ont renforcé l’influence de l’Iran au Moyen-Orient et ramené la Russie sur la scène internationale après une période de latence pendant la Perestroïka. Mais ils ont causé d’énormes ravages, en détruisant complètement l’infrastructure de base de nombreux pays et en faisant subir une régression sévère dans cette partie du monde qui a engendré plus de migration, de la misère, une absence de services, un traumatisme et une colère contre l’Occident. Des pays du Moyen-Orient ont payé une somme énorme d’argent, principalement à la demande et avec l’accord des USA, afin d’affaiblir des gouvernements de la région et leurs habitants en n’obtenant qu’un seul résultat : une région plus pauvre, plus instable et hostile à l’Occident.

L’invasion du Liban par Israël en 1982, qui est parvenue à son objectif d’évincer « l’Organisation de libération de la Palestine » (OLP), qui était un État dans l’État, a donné naissance à une armée irrégulière organisée appelée Hezbollah ou « parti de Dieu ». Le Liban était sous le contrôle des chrétiens maronites d’une part, et des Palestiniens de l’autre. L’OLP et d’autres groupes palestiniens moins importants avaient attaqué Israël sporadiquement à l’aveugle à partir du sud-Liban au moyen de roquettes de fabrication soviétique (Katioucha), ou même de roquettes de petit calibre liées à une minuterie abandonnée dans une oliveraie ou une orangeraie au sud du Liban, qui étaient dirigées puis lancées en direction d’Israël.

L’appréciation erronée des faits par Tel-Aviv était qu’il croyait pouvoir créer un « protectorat ami, obéissant et impuissant » (le Liban) à sa frontière au nord. Israël a tenté de forcer la main des dirigeants libanais pour qu’ils signent un traité de paix avec Israël et se soumettent entièrement à ses volontés et à ses plans expansionnistes. L’OLP était dirigée par Yasser Arafat, un homme aux objectifs pragmatiques qui disposait de multiples contacts au Moyen-Orient et dans le monde. Comme il était financé par plusieurs pays arabes, leurs dirigeants exerçaient une influence sur ses décisions et l’organisation était tellement corrompue qu’elle ne représentait en fait aucun danger réel pour Israël. Arafat était prêt à signer un traité de paix avec Israël (ce qu’il a fait des années plus tard) et était un leader laïc très éloigné de toute croyance idéologique réelle.

L’OLP a été évincée du Liban, donnant ainsi le champ libre au Hezbollah pour s’épanouir et gagner en force. Au fil des ans, le Hezbollah a appris à tirer son épingle du jeu de la politique intérieure et a réussi à gagner « le cœur et l’esprit » de la population, car loin d’être un corps étranger parmi la communauté chiite libanaise, il en constitue une partie indissociable.

Ayant très mal compris l’organisation, Israël a assassiné en 1992 Sayyed Abbas Moussaoui et les membres de sa famille, leader du Hezbollah et aussi son gourou théologique, sa figure paternelle et son commandant modeste. Tel-Aviv croyait avoir paralysé le Hezbollah, en pensant que son leadership était de forme pyramidale. Sayyed Abbas a alors été remplacé par l’astucieux psychologue de guerre et innovateur charismatique Sayyed Hassan Nasrallah, qui a donné au groupe une taille démesurée et qui l’a transformé en organisation très puissante.

Sous le commandement de Sayyed Nasrallah, le Hezbollah est devenu plus puissant que l’armée libanaise et toutes les forces de sécurité intérieures réunies. Aujourd’hui, l’organisation possède des missiles de précision à combustible solide, des missiles antichars téléguidés au laser, des missiles de précision antinavire, des missiles de défense antiaérienne téléguidés et plusieurs milliers de membres des forces d’élite bien entraînés et disciplinés. Le groupe possède une infrastructure sociale, un hôpital, des écoles, une banque, des bureaux pour les veuves et les familles des martyrs, des génératrices d’électricité au sud du Liban et dans les banlieues de Beyrouth, et plusieurs municipalités sous sa direction.

En 2005, à la suite de l’assassinat du député et ex-premier ministre Rafiq Hariri, les USA croyaient avoir repris le contrôle du Liban et ont réussi à forcer un retrait syrien du Liban, mettant alors fin à la soi-disant hégémonie politique et militaire syrienne. Sauf qu’en jouant du coude pour faire sortir les Syriens, ils ont rendu le Liban imprévisible, sans maestro pour le faire réfléchir à deux fois avant de se déchaîner contre Israël ou de permettre à un groupe comme le Hezbollah de le faire.

De plus, l’absence d’intervention syrienne dans le gouvernement libanais a permis au Hezbollah d’entrer au parlement et de compter aujourd’hui plus de 18 ministres dans le gouvernement actuel qui soutiennent ses objectifs stratégiques de recourir à la force militaire contre Israël en cas de guerre, et de garder ses armes perfectionnées comme « facteur d’équilibre » pour empêcher Israël d’étourdiment choisir la guerre.

De même, la guerre de 2006 « pour détruire le Hezbollah » a permis de créer une chaîne d’approvisionnement militaire sans précédent de la Syrie au Hezbollah tout au long de cette guerre. Le Hezbollah a appris à manier le missile antichar à télémètre laser russe mortel « Kornet » en l’espace de quelques heures, et à empêcher ainsi Israël d’atteindre ses objectifs. Le Hezbollah a ainsi gagné en force et en a profité pour réapprovisionner son arsenal d’armes en fonction des leçons tirées de la guerre israélienne de 2006.

Le 12 février 2008, Israël a assassiné Haj Imad Moughnniyah, alias Haj Radwane, qui occupait le poste de vice-chef du conseil du djihad. Il commandait « l’armée », l’innovation militaire, le service du renseignement à l’étranger, le soutien à la résistance irakienne et palestinienne et de nombreux autres dossiers. Tout cela dans les mains d’un seul homme. Son assassinat a frappé durement le Hezbollah. Sayyed Nasrallah a alors distribué toutes les fonctions d’Imad parmi une demi-douzaine de commandants qui faisaient déjà partie de l’organisation. Ceux-ci ont réussi à augmenter la force et la performance du Hezbollah, comme on l’a vu au Liban, en Syrie et en Irak. Le leadership du Hezbollah assure une gouvernance horizontale, où personne n’est indispensable.

Malgré les objections de nombreux pays, le Hezbollah a imposé un « président de la République » chrétien, le général Michel Aoun. Il a défendu le premier ministre sunnite Saad Hariri pendant son enlèvement à Riyad par le prince héritier Mohammed Ben Salmane, en plus de soutenir sa nomination dans le gouvernement actuel. Il a accepté d’avoir un nombre inférieur de ministres dans le nouveau gouvernement (même si le quota lui permet d’en nommer davantage). Il a forcé l’entrée d’un ministre sunnite au sein du gouvernement, qui représente les minorités sunnites, et le choix du ministre de la Santé (entre autres) s’est fait sous ses directives.

Le Hezbollah ne cache pas le fait que la facture des soins de santé est très élevée. Cela s’explique non seulement en raison de son engagement en Syrie et des pertes infligées parmi ses membres (qui représentent en fait un infime pourcentage des dépenses), mais surtout aux dizaines de milliers de familles inscrites à son régime d’assurance-santé gratuit offert à des familles entières de militants. La question concerne aussi tous les citoyens libanais sans exclusion, car le prix des médicaments importés est ridiculement élevé, causé principalement par une situation de monopole et la corruption. Les mêmes médicaments fabriqués en Turquie, en Syrie ou en Iran coûtent beaucoup moins cher comparativement aux prix sur le marché libanais.

Toutes ces ingérences au fil des ans dans les affaires du Liban ne laissent planer aucun doute : elles ont été contre-productives pour les interventionnistes et ont profité énormément au Hezbollah, à ses alliés en Iran et à « l’Axe de la résistance ». Il aurait été largement préférable de quitter les pays du Moyen-Orient, en les laissant évoluer à leur propre rythme et choisir leur système de gouvernement sans intervention de l’extérieur.

Les USA et leurs alliés ne peuvent jamais intervenir avec succès au Liban et dans tout autre pays, tout particulièrement au Moyen-Orient, sans bénéficier d’un soutien local et d’une volonté locale de satisfaire à Washington, en lui permettant de s’installer et de s’amuser avec les destinées du pays. Mais cela peut cesser et cessera le jour où les populations locales se rendront compte de l’ingérence étrangère.

Traduction de l’anglais par Daniel G.


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