L'expérimentation sur les embryons, c'est la marchandisation de l'humain
La France s’avance dans la zone rouge de l’aventure anti-éthique : toutes les digues du respect de la personne humaine sont progressivement renversées… Est-ce le symptôme de la victoire définitive du matérialisme sur la conscience ? L’embryon humain n’est pourtant pas un matériau comme les autres.
On n’en a pas fini avec la désacralisation de la personne humaine et les transgressions en tout genre. Après le "mariage pour tous" et son corollaire probable mais honteux, la "PMA pour tous", et peut-être même une future et déconseillée "mort pour tous", voici l’expérimentation pour tous.
J’en avais déjà parlé à l’issue du débat au Sénat dans la nuit du 4 au 5 décembre 2012, un vote en catimini, loin des médias. Il s’agit d’une proposition de loi qui est ensuite passée en discussion à l’Assemblée Nationale le 28 mars 2013 et par un artifice de procédure, et un problème de calendrier, cette discussion n’avait pas pu aboutir.
Eh bien, la voici qui revient par la porte de service : la poursuite de la discussion de la proposition de loi sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires à l’Assemblée Nationale est prévue pour ce jeudi 11 juillet 2013 à partir de 9h30, en pleine période estivale et probablement, comme les fois précédentes, sans aucune couverture médiatique.
Un débat tronqué et bâclé
Le gouvernement, de manière hypocrite puisqu’il s’agit ici d’une initiative parlementaire mais fortement encouragée par l’Exécutif, souhaite désormais légaliser le principe général d’expérimentation sur les embryons humains.
Expérimenter sur les embryons humains, cela veut dire utiliser des cellules souches issues d’un embryon humain, provenant d’une "banque" d’embryons surnuméraires "inutilisés" issus d’une assistance médicale à la procréation. Au contraire d’autres types de prélèvement cellulaire, cette opération détruit inéluctablement l’embryon.
Le problème, ici, c’est que les parlementaires de la majorité, encouragés par le gouvernement, ont voulu bâcler une réforme qui constitue une véritable révolution de la bioéthique en France, qui traditionnellement, et conformément aux accords d’Helsinki du 1er août 1975 qui évoquent principalement « la dignité inhérente à la personne humaine », défend la protection de l’embryon humain considéré comme personne en devenir.
Et quand j’écris "bâcler", je pèse mes mots puisque les rapports de la proposition de loi (au Sénat comme à l’Assemblée Nationale) n’ont auditionné quasiment personnes d’autres que des promoteurs de la recherche sur les embryons humains sans prendre des avis d’horizons différents. Par ailleurs, comme ce n’est pas un projet de loi, le texte n’a pas bénéficié de l’appui éclairé du Conseil d’État (cependant déjà favorable à l’idée depuis mai 2009).
Le sujet est doublement difficile, puisqu’il est à la fois très technique (il faut comprendre l’état d’avancement des biotechnologies) et très politique, où le politique se doit de faire la part de l’éthique et la part de l’économique qui est la motivation première de ce texte.
De quoi s’agit-il ?
L’idée est d’autoriser en général sous conditions particulières et contraignantes (que la loi pourra toujours assouplir par la suite, progressivement), au lieu d’interdire sauf exceptions dérogatoires (la loi actuelle).
La principale motivation de cette démarche est, le cœur sur la main, les progrès de la médecine et la capacité de soigner des maladies encore difficiles à traiter.
Pourtant, cette proposition de loi ne changera rien sur l’état actuel de la recherche en France puisque les conditions contraignantes d’autorisation seraient à peu près équivalentes aux conditions de dérogations possibles à l’interdiction actuelle (selon l’Agence de la biomédecine qui fait autorité en la matière, 173 dérogations ont été délivrées jusqu’au 6 février 2011 et il n’y a eu que 4 refus sur sept ans, ce qui prouve bien que la loi de 2011 n’a en rien freiné la recherche en France).
Une idée dépassée et anachronique
De plus, cette idée est largement dépassée et anachronique puisque maintenant, il existe des procédés modernes qui permettent de faire le même type de recherche mais sans utiliser d’embryons humains, juste avec de la culture de cellules.
En effet, les travaux des deux biologistes John Gurdon et Shinya Yamanaka (prix Nobel de médecine 2012) sur les "induced pluripotent stem cells" (iPS ; cellules différenciées adultes reprogrammées en cellules souches embryonnaires) proposent depuis 2007 une bonne voie pour éviter de s’engluer dans une négation de la personne humaine, même en devenir, par l’instrumentalisation du corps.
Ce type de procédé a été purement et simplement méprisé par les députés de la majorité : « L’efficacité et les effets des autres méthodes (…) ne sont pas encore suffisamment connus et leur utilisation pose, elle aussi, des problèmes éthiques. », ce qui n’est pas exact puisque cela fait six ans que cette méthode existe, qu’elle a sans arrêt été justement comparée au clonage thérapeutique, et que le problème éthique ne se pose pas à l’heure actuelle puisqu’il est impossible d’aboutir à un embryon viable avec des cellules iPS (dire le contraire est méconnaître le procédé, voir l’avis de Jacques Testart ci-dessous).
Un texte qui divise et qui refuse le débat public
C’est certainement cette absence de publicité qui est le signe d’une véritable atrophie de la conscience républicaine. Car il faut rappeler deux éléments majeurs.
Le premier est que tout ce qui concernait la bioéthique faisait jusqu’à maintenant l’objet d’un consensus général, car ces sujets touchent au plus profond de la conscience. Depuis les premières lois du 19 juillet 1994, le législateur a ainsi souhaité adapter la législation périodiquement. Les premières lois de 1994 avaient mis en avant la protection de la personne humaine. Cela a fait l’objet d’une révision le 6 août 2004 puis le 7 juillet 2011 : il est donc étonnant d’adopter à la va-vite une réforme qui bouleverse toute la tradition républicaine à peine deux ans après une révision des lois bioéthiques.
Le second élément, c’est que la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 impose désormais l’organisation de débats publics, sous forme d’états généraux, avant de toucher à un seul sujet d’éthique. Ce sera donc le cas pour l’éventuel débat sur la fin de vie. Cela aurait dû être le cas également de l’expérimentation sur les embryons humains. Les juristes pourraient toujours dire qu’on peut défaire par une loi ce qu’on a fait par une précédente, mais ils ne montreraient dans ce cas pas beaucoup de considération pour la concertation sur un sujet qui ne devrait pas être politisé.
L’argument économique (et juridique)
Parmi les arguments en faveur de cette autorisation d’expérimentation, il y a ceux développés par François Hollande alors qu’il n’était que candidat, le 22 février 2012 lors de sa visite au Génopole d’Évry au côté de celui qui n’était encore que son directeur de communication, Manuel Valls (à l’époque député-maire d’Évry).
François Hollande y avait exactement déclaré : « Aucune raison sérieuse ne s’y oppose. Une cellule souche embryonnaire n’est pas un embryon. (…) Certes, des limites sont nécessaires et ces recherches devront être encadrées et soumises à des autorisations préalables délivrées par l’agence de biomédecine de manière à éviter toute marchandisation du corps humain. » et il avait ajouté : « Nous rattraperons notre retard sur d’autres pays, (…) nous favoriserons le retour des post-doctorants partis à l’étranger. ».
Donc, indépendamment de son immense incompétence sur le sujet (avec lui, on se demande vraiment d’où vient une cellule souche embryonnaire, si ce n’est d’un embryon), il y a eu deux arguments utilisés.
Le premier est que François Hollande est complètement favorable à l’instrumentalisation du corps humain tant que celle-ci se déroule gratuitement, sans considération marchande. On avait déjà ce type d’argument avec la PMA, ou la GPA, défendue par Najat Vallaud-Belkacem : oui mais sans marchandisation.
Le second argument n’est pourtant qu’un simple élément marchand : le retard de la recherche, et donc, le retard pour breveter et donc, des pertes pour l’économie nationale (en supposant que les chercheurs français aboutiraient à des résultats palpables).
La question d’ailleurs reste toujours assez troublante : ceux qui insufflent ces considérations économiques dans les questions éthiques ont de quoi faire très peur sur le type de société qu’ils voudraient. Une loi légalisant l’euthanasie et le suicide assisté serait également très favorable à l’économie : elle réduirait les coûts exorbitants des soins médicaux pour les malades en fin de vie, elle exonérerait des investissements massifs dans les soins palliatifs (qui manquent cruellement en France), et elle favoriserait la multiplication des transmissions de patrimoine (l’État se servant toujours d’une manière ou d’une autre au passage).
L’argument économique était revenu lors de la première journée de discussion à l’Assemblée Nationale le 28 mars 2013. La présidente de la commission des affaires sociale Catherine Lemorton (PS) rappelait que cette proposition était attendue des chercheurs car la législation actuelle bloquait les financements de l’industrie pharmaceutique par manque de visibilité.
Couplé à l’argument économique, la rapporteure de la loi, la députée Dominique Orliac (PRG) a parlé de l’insécurité juridique dans laquelle la loi de 2011 aurait placé les chercheurs : « La rédaction actuelle de la loi est source de contentieux qui retardent le lancement de certains projets scientifiques. ». Pourtant, s’il y a contentieux, c’est que la situation est loin d’être si claire que cela sur la pertinence de certaines dérogations. Cet argument devrait en fait être un contre-argument en défaveur de la proposition de loi. De plus, cela ne changerait rien avec le texte en discussion, les conditions d’autorisation se prêtant aux mêmes incertitudes d’interprétation.
Le député Bernard Perrut (UMP) considérait effectivement que l’insécurité juridique ne serait pas éliminée avec l’adoption de cette proposition de loi puisque les contentieux concernent avant tout la compréhension des conditions de dérogations qui seraient les mêmes que les conditions d’autorisations si le texte était adopté.
On voit à quel point l’absence de réflexion en amont est grande parmi ces élus soumis au lobby des industries pharmaceutiques que l’affaire Cahuzac n’a malgré tout pas semblé réduire au silence.
Remettre de l’éthique dans l’économique
Faut-il donc encourager la science sans conscience ? Car les opposants à cette proposition dénoncent clairement une collusion entre autorisation d’expérimentation et ultralibéralisme, voire, libertarisme qui laissent de côté la primauté de l’humain sur l’économique.
Le député Jean Leonetti (UMP), réputé pour sa réflexion et son action sur la bioéthique, lors de la séance du 20 mars 2013 de la commission des affaires sociales, a tenté de remettre de la pondération et de la sagesse dans les débats : « J’invite nos collègues à adopter sur des sujets aussi sensibles des positions moins tranchées, triomphantes ou binaires. La loi de 2011 a mis en place, de façon consensuelle, une certaine procédure. J’avais proposé qu’on puisse modifier les lois de bioéthique dès que nécessaire. L’opposition de l’époque préférait une formule de révision régulière, tous les sept ans. Ce que nous avons voté, hormis le cas où une découverte scientifiques viendrait à bouleverser les équilibres. Nous avons précisé aussi, par amendement adopté à mon initiative, que chaque modification législative devrait être précédée d’états généraux (…). Car il ne s’agit pas d’un sujet aussi simple qu’on pourrait le croire. Or, voilà qu’aujourd’hui nous légiférons au bout d’un an et sans états généraux, donc sans débat public préalable, alors même que, à côté des scientifiques qui plaident toujours en faveur de la recherche, les citoyens se montrent extrêmement prudents quant au statut de l’embryon, être en devenir et non pas objet. ».
Dominique Dord (UMP), lui non plus, n’a pas compris cette précipitation : « Sur ces sujets sensibles, il est d’usage que l’on se donne du temps, et que l’on organise un débat public : comment pouvez-vous modifier la loi dans de telles conditions, par une proposition de loi comportant un article unique, en balayant d’un revers de main des convictions qui, si elles ne sont pas les vôtres, sont partagées par des millions de Français ? » (le gouvernement l’avait déjà fait avec le mariage des couples homosexuels).
Jean Leonetti n’a pas hésité à faire le parallèle avec l’avortement : « La bioéthique repose à la fois sur le pragmatisme et sur le symbolique, avec des conflits de valeurs portant sur la dignité de la personne humaine dès sa conception, référence constitutionnelle et non pas biblique, et autour de la nécessité de progresser sur le plan scientifique. La loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse protège le fœtus et autorise néanmoins, par dérogation, le droit à l’avortement. C’est là une constante du droit français, jamais abandonnée jusqu’ici, que d’affirmer la protection avant de prévoir des dérogations. ».
Détruire les principes fondateurs de notre société
Jean Leonetti a ensuite évoqué la « portée symbolique sur le plan international » de la législation française : « Ce n’est pas parce que certaines pratiques ont cours dans certains pays qu’on doit les autoriser chez nous. Au Brésil, on vend son rein pour quelques reals et la gestation pour autrui est autorisée dans certains pays européens… Attention donc à ne pas céder au moins disant éthique au nom du mieux disant scientifique et de la performance ! ».
S’adressant à Catherine Lemorton : « Vous avez dit, madame la présidente, que la France était en retard. Relisez donc ce qu’a écrit madame Sylviane Agacinski [épouse de Lionel Jospin] sur les lois de bioéthique : elle rappelle que la France est, au contraire, en avance, parce qu’elle est protectrice. » et a jugé utile de fustiger les lobbies à l’origine de cette proposition de loi : « Ce chant s’appelle aujourd’hui lobbying avec, à la clef, d’importants intérêts financiers. De ce lobbying, les députés doivent se garder comme Ulysse du chant des sirènes : il faut avoir connaissance du progrès mais ne pas s’y fourvoyer. ».
La députée Véronique Louwagie (UMP) aussi a beaucoup de doutes sur la pertinence de la proposition de loi : « Vous proposez un changement inédit, puisque le principe fondateur de la protection de l’être humain devient une exception. ».
La députée Valérie Boyer (UMP) a été encore plus alarmante : « Cette proposition de loi propose un bouleversement majeur des conditions de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Sans débat et sans raison, la majorité s’acharne, avec la complicité du gouvernement, à détruire les principes fondateurs de notre société. Le respect de l’embryon humain, au cœur du droit bioéthique français, est aujourd’hui menacé. Faut-il rappeler qu’en vertu de l’article 16 du code civil, "la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie" ? Comme le relève Jürgen Habermas, l’autorisation de conduire des recherches sur l’embryon transforme la perception culturelle de la vie humaine. ».
D’autres solutions existent déjà, tout aussi performantes
Valérie Boyer en a profité pour rappeler que les cellules souches embryonnaires sont déjà dépassées dans la recherche thérapeutique : « En effet, les cellules souches adultes et issues du sang de cordon permettent d’ores et déjà de soigner des pathologies grâce à la thérapie cellulaire. En ce qui concerne la modélisation de pathologies et le criblage de molécules, les cellules souches iPS ont le même potentiel que les cellules souches embryonnaires. Dès 1991, les travaux de l’équipe de Marie-Louise Labat, du CNRS, montraient la présence dans le sang d’une cellule souche capable de former différents tissus, vraisemblablement pluripotente. Récemment, en France également, l’équipe du professeur Luc Douay a obtenu des globules rouges à partir de cellules souches de sang de cordon ou de moelle osseuse. Les travaux des professeurs Yamanaka et Gurdon, couronnés par le prix Nobel en 2012, prouvent à quel point la recherche sur les cellules embryonnaires est désormais supplantée par les cellules non-embryonnaires ; plus de vingt lignées ont été obtenues et un institut, iPS Core, créé à Harvard, leur est consacré. Les pathologies concernées sont la maladie de Parkinson, le diabète, la chorée de Huntington, la trisomie, la maladie de Gaucher, la dystrophie de Duchenne, pour n’en citer que quelques-unes. Ces progrès extraordinaires concernant les cellules souches adultes ou induites et leurs possibles applications thérapeutiques, ou encore la vitrification des ovocytes autorisée depuis le 27 janvier 2011 et qui va enfin mettre un terme à la production d’embryons humains surnuméraires, sont totalement ignorés par cette proposition de loi passéiste. Force est de constater qu’il s’agit d’une démarche purement idéologique, qui fait courir de lourds risques de dérives et d’instrumentalisation. ».
Des consultations bâclées…
Pour préparer la discussion qui aura lieu ce jeudi 11 juillet 2013, il n’y a eu l’audition que de onze personnalités, dont le généticien Axel Kahn (ancien candidat PS aux législatives à Paris), le professeur Claude Huriet, président de l’Institut Curie (et ancien sénateur de Meurthe-et-Moselle, à l’origine des premières lois sur la bioéthique et sur l’expérimentation sur des êtres humains en 1988 et 1994), le journaliste Jean-Claude Ameisen (président du Comité national consultatif d’éthique) et le professeur René Frydman (père scientifique du premier pseudo-"bébé médicament" né le 26 janvier 2011).
La discussion au Sénat en décembre 2012 était encore plus "pauvre" puisqu’il n’y avait eu que quatre personnes auditionnées (dont trois qui font partie des onze personnes auditionnées ensuite à l’Assemblée Nationale). C’est dire à quel point le sujet a été fouillé et débattu.
Pourquoi Jacques Testart n’a-t-il pas été auditionné ?
Par exemple, il y a un absent de taille qui aurait largement mérité d’être écouté sur ces questions d’éthique et d’expérimentation sur les embryons humains. C’est le professeur Jacques Testart, "père" scientifique du premier "bébé éprouvette" français, Amandine née le 24 février 1982, et spécialiste des embryons humains, qui est une référence exceptionnelle sur les questions d’éthique puisque lui-même a préféré arrêter certaines recherches qu’il considérait comme allant à l’encontre de sa propre conception de la personne humaine.
Il expliquait dans une tribune publiée le 1er septembre 2011 dans le journal "Le Monde" : « Les débats et leurs traductions juridiques sous-estiment encore des conséquences importantes de ces innovations (…). Ces conséquences sont masquées par des arguments d’utilité : principalement satisfaire le "projet parental" et respecter la "liberté de recherche". Alors, on peut fabriquer des enfants privés d’origine, ou triés dans l’éprouvette, mais aussi utiliser les embryons humains comme un matériau expérimental ordinaire afin de juguler la "fuite des cerveaux" ou le "retard dans la compétition internationale". (…) En 2011, les pressions des praticiens l’ont largement emporté sur celles des catholiques. ».
En effet, le 28 mars 2011 sur "Mediapart", Jacques Testart constatait déjà à propos de la recherche sur l’embryon humain : « Dérisoire débat qui ne dit rien des enjeux mais confirme la victoire des avocats de l’instrumentalisation de l’embryon, sans que cela soit raisonnablement bénéfique pour l’espèce humaine. », en relevant au passage que : « les recherches réalisées sur quelques embryons humains disparates n’auront jamais la pertinence scientifique de celles qu’on peut mener chez l’animal : le "modèle souris" en particulier autorise des conditions optimales pour la fiabilité du matériel biologique (souches génétiques homogènes, condition d’obtention et de culture modulables, évaluation possible de la viabilité des embryons, reproductibilité des expériences, etc.) » pour s’inquiéter des dérives déjà actuelles : « Or, et ceci ne semble pas émouvoir ni les chercheurs, ni les parlementaires, les recherches revendiquées à partir d’embryons humains ne font pas suite à des connaissances nouvelles qu’il faudrait vérifier ni à des démonstrations d’efficacité d’une innovation chez l’animal. Ainsi cette prétention à utiliser d’emblée du matériel humain échappe au pré-requis de l’expérimentation animale, lequel est justifié scientifiquement mais aussi éthiquement puisque c’est une règle affichée en recherche médicale depuis l’après Deuxième guerre mondiale. ».
Peu suspect de faire partie d’un groupe d’influence ou de pression religieuse, Jacques Testart a pour autant proposé deux voies de substitution : « Ainsi des travaux devraient être menés sur des embryons animaux comme sur des cellules souches non embryonnaires humaines (…) afin de constituer un pré-requis obligatoire à la recherche sur l’embryon humain. » et doute de l’impartialité de l’Agence de biomédecine sur laquelle tout contrôle repose.
Pour les recherches thérapeutiques, il y a mieux que les cellules embryonnaires
Le 8 janvier 2010, Jacques Testart évoquait, dans un séminaire à Chambéry, les cellules non embryonnaires comme une solution efficace et répondait déjà à ceux qui faisaient valoir l’ignorance sur l’efficacité thérapeutique de ces cellules : « Cette réponse correspond à une fuite en avant plus qu’à une attitude responsable et, en considérant tous les matériaux biologiques comme équivalents, elle fait fi du respect minimal que nous devons aux êtres appartenant à notre espèce. Comment jugera-t-on plus tard ces expérimentations humaines s’il devait apparaître qu’elles furent inutiles ? Car on ne peut confondre le recours à l’embryon humain au bénéfice de l’espèce, lequel pourrait être légitime, avec son sacrifice "pour voir". ».
De même, Jacques Testart a démonté dès ce début 2010 l’argument selon lequel le professeur Yamanaka aurait découvert les cellules iPS grâce à des cellules embryonnaires humaines, ce qui est historiquement totalement faux : « [Marc Peschanski] explique aussi que c’est grâce aux travaux sur les cellules embryonnaires que l’équipe de Yamanaka a découvert les facteurs de transcription nécessaire pour transformer les fibroblastes en cellule iPS. Cette affirmation semble avoir impressionné les membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou ceux du Conseil d’État lors des auditions récentes, (…) puisque toutes ces structures souhaitent soutenir "la recherche sur tous les fronts simultanément". Pourtant c’est avec des cellules d’embryon de souris que Yamanaka a réalisé cette avancée en 2006… Ce qui n’empêche pas le Conseil d’État de conclure, inspiré aussi par Philippe Menasché, clinicien fortement impliqué : "Sans les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, celles très prometteuses sur les cellules iPS n’auraient pas été possibles" et donc que "les recherches sur les cellules souches se fertilisent mutuellement" [rapport de mai 2009]… ».
Notons que les deux chercheurs cités, Marc Peschanski, de l’INSERM, spécialiste des neurosciences, et Philippe Menasché, professeur de chirurgie cardio-vasculaire, faisaient partie des personnes auditionnées en mars 2013 par les députés. On peut constater que ce sont toujours les mêmes qui sont auditionnés depuis quatre ans, avec le même son de cloche.
Pourquoi cette pression des Big Pharma ?
Mais le pire, selon Jacques Testart, toujours à Chambéry, c’est que le lobbying pour expérimenter les embryons humains n’est pas très clair : « Outre que les cellules embryonnaires n’ont encore jamais guéri un malade, leur instabilité chromosomique et leur propension à la tumorisation font problème. S’ajoutant au malaise éthique que provoque leur origine, et à leur absence apparente d’avantage par rapport à d’autres cellules souches, il est alors surprenant qu’elles occupent une large place dans les débats, au lieu de rester seulement l’objet de recherches approfondies chez l’animal. ».
Il est d’ailleurs à noter que les cellules iPS, au contraire des cellules embryonnaires, n’entraînent apparement pas de problème de tumeurs (article du professeur Yamanaka dans la revue "Science" de février 2008).
Jacques Testart poursuivait à propos des Big Phama : « On peut y voir la croyance d’industriels dans un nouvel Eldorado (…). Cet engouement est étrange puisque l’industrie pharmaceutique pourrait tout aussi bien tester ses molécules sur des lignées obtenues à partir de cellules iPS de malades ou de personnes saines. La question est alors de savoir si les industriels poussent les chercheurs (…) ou si c’est l’inverse… ».
En effet, Anne-Caroline Berthelot a soutenu en mai 2009 une brillante thèse sur "les interactions de l’industrie pharmaceutique et des gouvernements autour des cellules souches humaines" qui affirme que les industriels, en crise de la recherche, voient dans les cellules souches embryonnaires un nouvel axe de développement et « tentent d’influencer les différentes législations gouvernementales ».
Pas seulement un amas de cellules vivantes
La conclusion de cette thèse est d’ailleurs très explicite : « De manière objective, la nature révèle qu’il n’y a, en réalité, aucune discontinuité dans le processus biologique de développement d’une personne (…), dès la fécondation de l’ovule et jusqu’à la mort de l’individu (…). Il apparaît que l’être en devenir, alors même qu’il n’aurait que l’apparence d’un amas de cellules vivantes, existerait bel et bien depuis sa conception (…). Il porterait alors, sous l’appellation d’embryon, l’intégralité du patrimoine génétique du nouvel être en devenir qu’il est, ceci dès le premier instant de la rencontre des gamètes mâle et femelle qui l’ont conçues, et y compris en dehors du moindre projet parental. » pour terminer ainsi : « Ce constat réaliste induit une éthique de protection de la vie, une éthique de la vie, encore appelée bioéthique, dont sera issue une politique définissant des législations de protection du patrimoine humain, inscrites dans une démarche proactive de développement durable. ».
En annexe de ses travaux, Anne-Caroline Berthelot a présenté une remarquable liste de toutes les avancées médicales réalisées dans le monde grâce aux cellules iPS, confortée par 167 références de publications scientifiques qu’il est aisé de vérifier (pp. 108-120).
Le risque de produire des embryons à finalité exclusive de destruction
Reprenant une étude présentée à la journée des experts de l’AMP (assistance médicale à la procréation) du 1er octobre 2008, Jacques Testart a cité que 83% des professionnels de l’AMP étaient favorables à l’autorisation définitive de la recherche sur les embryons surnuméraires et nombreux parmi eux réclamaient la possibilité de produire des embryons humains aux seules fins de recherche (ce que la proposition de loi actuelle interdirait encore, mais son adoption encouragerait évidemment cette dérive inquiétante).
Dans le journal "Libération" du 27 avril 2009, Jacques Testart concluait très durement : « Des motivations non exprimées se substituent ou s’ajoutent aux arguments à prétention scientifique des conquistadors de l’embryon humain. Peut-être est-ce le mythe de la fontaine de jouvence qui leur fait privilégier le plus jeune des matériaux biologiques ? Ou est-ce parce qu’ils ne supportent pas que l’embryon se trouve encore légalement préservé de "la recherche", laquelle peut cependant concerner tous les autres stades de l’humain, du fœtus jusqu’au cadavre ? La pulsion d’accaparement du plus petit de notre espèce pourrait ainsi relever d’une exigence de consommation cannibale… ».
La réification de l’être humain est en cours
On comprend donc vite, à la lecture de ses différentes interventions depuis quatre ans, pourquoi Jacques Testart n’a jamais été invité à s’exprimer devant les commissions parlementaires à l’idéologie consumériste déjà bien arrêtée. Il aurait été capable de démonter un à un tous les arguments du lobby favorable à la légalisation de l’expérimentation sur les embryons humains.
Ne vous y trompez pas : ce n’est que le début d’une évolution inquiétante, qui est associée à d’autres sujets éthiques essentiels comme l’euthanasie et le suicide assisté ou encore la PMA pour les couples homosexuels, et à terme, la GPA, à savoir la réification de la personne humaine et son instrumentalisation.
Après bien des luttes, "la" femme a réussi heureusement à quitter son statut d’objet… mais l’humain va bientôt le devenir ou le redevenir, pour le seul bénéfice des "intérêts marchands".
De tout cela, des beaux esprits qui se réclament de l’humanisme, ou qui s’opposent au libéralisme, ou encore qui sont choqués par les manipulations génétiques sur les végétaux, semblent se moquer ; ils voteront cette proposition de loi qui ferait de l’humain une matière première comme les autres et qui permettrait de trafiquer le vivant sans capacité, pour le législateur, de stopper les dérives ultérieures, puisque les digues seraient désormais levées...
- Source : Le Blog de Sylvain Rakotoarison