Affaire Méric : l’imposture idéologique de l’anti-fascisme
Les faits, bruts : une baston entre deux groupes de jeunes se revendiquant de mouvements extrémistes, respectivement « de droite » et « de gauche » ; un des jeunes, semble-t-il de faible constitution, meurt accidentellement au cour de la rixe (selon la qualification retenue par le juge d’instruction de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner »). La mort d’un jeune homme est un drame, et toute notre compassion doit aller à sa famille, à ses parents : même si aucun mot ne peut l’exprimer, tout parent peut comprendre la douleur inextinguible que l’on peut ressentir à une aussi terrible nouvelle. Mais après le temps de la douleur et de la compassion, vient le temps de la reconstitution et de l’interprétation des faits. Et là, c’est à un véritable délire auquel l’on a assisté, de la part d’une partie de la classe politique et, hélas, des médias, normalement garants de l’exactitude et de l’objectivité de l’information.
L’évènement présenté par les médias et la gauche
Le français moyen qui a ouvert son journal ou sa télévision le matin suivant se sera vu proposer en gros le récit suivant : un groupe de skinheads d’extrême-droite a assassiné lâchement un jeune sympathisant de gauche qui passait innocemment par là. Le ventre de la bête est encore fécond, le danger fasciste se réveille, décomplexé par la Manif pour tous : il convient de dissoudre immédiatement les groupuscules néo-nazis et leur vitrine soft, le Front National, menace sourde et haineuse contre la République, à laquelle doit s’opposer de toute son énergie, derrière les héroïques militants antifascistes, le peuple de France.
Bien entendu, cette présentation grandiloquente ne tient pas une seconde : les premiers éléments de l’enquête indiquent que ce sont vraisemblablement les jeunes « anti-fa » dont faisait partie la victime qui ont provoqué, si ce n’est agressé, le groupe de skins ; ces mouvements d’extrême-gauche affichent sur leur site, dans leurs publications, au-travers de leurs slogans, une violence au moins aussi grande que celle des supposés fachos ; ils se revendiquent d’une force révolutionnaire qui s’est illustrée historiquement par une tendance terroriste et meurtrière à laquelle ils ont pourtant toujours trouvé des justifications idéologiques ; et de toute façon, si cela avait été un skin qui avait été tué par accident, qu’aurait-on dit de tout cela ? Rien, bien entendu, tant est profondément ancré dans notre inconscient politique depuis la Libération que violence d’extrême-gauche et d’extrême droite, bolchévisme et fascisme, stalinisme et nazisme, ce n’est PAS la même chose. Quant à l’amalgame avec les paisibles opposants de la Manif-pour-tous, déjà traitées d’ « homophobes » et maintenant assimilées à des « nazis », il est d’un absolu ridicule, tant la revendication de l’immense majorité de ces manifestants, la défense d’un certain modèle traditionnel de la famille, n’a rien à voir avec la doctrine identitaire de cette extrême-droite nationaliste. Bref, encore une fois pour le français moyen, la perception naturelle de cet évènement devrait être celle d’une altercation entre jeunes extrémistes plus ou moins en perdition, se terminant hélas tragiquement pour l’un d’eux, et point barre : ce qui n’est au final qu’un regrettable fait-divers ne mérite absolument aucune « interprétation » politique ou idéologique. Comment expliquer, alors, le succès qu’a eu ce discours agressif, haineux, de la gauche politique et médiatique, cette interprétation complètement délirante, et plus grave encore, contraire aux simples faits tels qu’ils ont été rapidement connus ?
C’est qu’il s’agit en fait de l’application pavlovienne d’un « schéma explicatif » tout fait, d’une grille de lecture binaire qui trace une frontière définitive entre d’un côté un « fascisme » supposé être le dernier stade du capitalisme bourgeois, et de l’autre les « combattants de la révolution », avant-garde gauchiste d’une nouvelle humanité dont nous ne sommes séparés que par la violence réactionnaire de la « droite ». Tel est ce mythe de l’antifascisme qui, hélas, imprègne encore tellement nos mentalités, en tout cas celle de nos élites intellectuelles et culturelle, qu’elle conduit à ce genre de délire interprétatif…
Conservateurs, libéraux, communistes et fascistes
Comme toujours, il faut remonter à la matrice de toutes nos idéologies modernes, la Révolution française. Rappelons brièvement ce que fut la Révolution, et ce qu’elle ne fut pas. 1789 fut, avant tout, la prise de pouvoir politique et idéologique de la nouvelle bourgeoisie au détriment de l’aristocratie de l’Ancien régime : une bourgeoisie porteuse des idéaux philosophiques de l’Enlightment anglo-saxon, celui de Locke en particulier, dont s’inspireront les « Encyclopédistes » français : Droit naturel, liberté fondamentale des individus, tolérance, méfiance viscérale envers tout ce qui peut se rattacher à une « communauté ». Les tumultes de l’histoire Européenne, et en particulier les Guerres de religion, avaient en effet été vécues comme un véritable traumatisme par cette nouvelle classe sociale tournée vers le commerce, et donc une certaine forme de paix sociale et diplomatique : comme l’argumente par exemple un Jean-Claude Michéa, l’idéologie libérale est porteuse d’un espoir, celui de la destruction de ces « appartenances » communautaires qui ne peuvent mener l’homme qu’à des conflits et des rivalités artificielles, guerres civiles ou de religion : l’homme dispose ainsi du droit le plus absolu de faire ce qu’il entend dès lors que cela ne compromet pas le droit équivalent de ses semblables, en particulier dans le domaine religieux et moral, et l’Etat n’a pas à s’en mêler, se limitant à faire respecter ce droit naturel de chaque individu.
Mais le revers de cet espoir, amplement analysé, c’est la montée de l’individualisme, de l’utilitarisme, de l’égoïsme : l’homme n’est qu’une « particule élémentaire » n’obéissant à son seul intérêt, dénué de toute sociabilité naturelle comme on le concevait depuis les Grecs. D’où, très vite, une difficulté philosophique à concevoir le principe d’une « société » à partir de ces particules élémentaires : le bourgeois libéral est libre par nature, mais il ne sait comment organiser une vie en société qui ne peut aller qu’à l’encontre de cette liberté. Rousseau fut sans doute le premier à percevoir cette tension interne de la philosophie libérale, que ne peuvent véritablement résoudre les théories du « contrat social » qui restent des constructions intellectuelles abstraites sans rapport avec la société réelle. Devant cette difficulté théorique, 4 grands courants de pensée ont tenté de trouver une réponse au problème de la fondation d’une vie en société.
Le premier courant est, tout simplement, celui de la « contre-révolution » : contestant les principes philosophiques bourgeois et libéraux des Lumières, il vise à « revenir en arrière » à l’Ancien régime, à une société construite organiquement autour de la famille, unité élémentaire servant de modèle à l’édifice politique dans son ensemble. Opposé à toute idée de « progrès », et plus encore de « révolution », souvent (mais pas systématiquement) attaché au catholicisme, ce courant de pensée conservateur est illustré par exemple par Burke, Joseph de Maistre ou, sur le plan politique, par l’Action française, et dans une certaine mesure le Gaullisme (rappelons que De Gaulle, jusqu’à la Libération, fut tenté de rétablir la monarchie en France) ; voire une certaine tendance du Front National.
Le deuxième courant, le libéralisme, est celui que suivra l’essentiel de la nouvelle classe sociale dominante, la bourgeoisie marchande : la société « émerge » spontanément des actions égoïstes des individus, par une sorte de « main invisible » qui fait en sorte que, en recherchant son intérêt personnel, les individus contribuent sans le savoir au bien commun. Et cette « main invisible », idée véritablement « révolutionnaire » d’Adam Smith, théorisée plus avant par des gens comme Hayek ou Popper, c’est l’ « économie », le « marché » : l’humanité est un ensemble d’ « homo economicus » qui, par l’échange économique sans entrave, font émerger une organisation économique optimale, les structures sociales et politiques n’étant que des « produits secondaires » de cette organisation économique. La principale, si ce n’est la seule, préoccupation des libéraux, c’est alors de garantir la plus totale liberté économique, le plus libre fonctionnement du marché, seul moyen de parvenir au plus grand bien-être des citoyens égoïstes. Tout ce qui menace le bon fonctionnement du marché sera combattu : structures traditionnelles (famille, religion…), Etat, groupes d’intérêts professionnels (corporations, syndicats…). Dans cette famille de pensée, la liberté religieuse et morale, destructrice du lien social, est donc indissociable de la liberté économique, supposée le reconstruire (d’om cette appellation globale de « libéralisme-libertarien » analysée par Michel Clouscart ou Christopher Lasch, et à leur suite Michéa, Alain Soral, Eric Zemmour, autant de penseurs, relevons-le, de formation marxiste…). Ce modèle de la démocratie libérale prendra encore du temps pour s’ancrer dans le paysage politique, tant la population française encore majoritairement paysanne resta longtemps conservatrice et attachée à la monarchie, mais il s’incarnera enfin dans la IIIème République et ses successeurs, dont on sait à quel point, depuis lors, elles furent davantage attachées à défendre les intérêts de la bourgeoisie que ceux des ouvriers et des paysans. Il est certes de bon ton aujourd’hui de conspuer cette idéologie libérale au regard des nécessaires critiques du monde moderne, mais il est nécessaire, pour bien la comprendre, de reconnaître également ce qu’elle a pu avoir d’optimiste dans ses espoirs, celui d’une société humaine pacifique, prospère, propice à l’épanouissement personnel des individus : le libéralisme, à sa façon, fut, lui aussi, et le premier, véritablement « révolutionnaire »...
Un troisième courant philosophique va rejeter ce modèle libéral d’une société individualiste, sans pour autant vouloir revenir au modèle antérieur de l’Ancien régime. 1789 fut une révolution « bourgeoise », c’est-à-dire en faveur d’une seule classe sociale marchande : l’idéal philosophique des Lumières, la liberté, conduit dans la pratique à la « loi du plus fort », à une société inégalitaire dans laquelle une classe aisée disposant de la propriété des moyens de production exploite un « prolétariat » privé de pouvoir politique. Pour reprendre la typologie platonicienne des régimes politiques, 1789 ne fut qu’une première étape, la transition d’une domination de l’aristocratie à une domination de la ploutocratie : l’étape suivante est l’avènement d’une véritable démocratie, pouvoir par le peuple et pour le peuple ; d’une véritable société égalitaire, c’est-à-dire sans classe sociale, sans dominants ni dominés, et donc sans propriété privée. Le bref épisode Jacobin de 1793 constituait une esquisse de ce que devait être véritablement la révolution, avant la « reprise en main » bourgeoise de Thermidor : mais l’échec des Jacobins n’était que partie remise, la révolution n’était pas « terminée », dans l’attente de la phase suivante, celle de la disparation de la bourgeoisie et de la prise de pouvoir politique par le « peuple » (les révolutionnaires bolchéviques, et en premier lieu Lénine, avaient ainsi la conviction d’être les héritiers et les continuateurs des Jacobins de 1793). Notons toutefois que ce courant philosophique désigné sous l’étiquette générale de « socialisme » ou « communisme », auquel Marx va donner une caution « scientifique », n’est pas véritablement en rupture avec le modèle économique du libéralisme : en effet, comme l’a notamment analysé avec acuité un François Furet, le marxisme considère lui aussi que la base de la société est l’économie, que les dispositifs sociaux et politiques ne sont que des « superstructures » dépendant de l’ « infrastructure » du mode d’organisation de la production. Le marxisme continue ainsi de considérer les individus comme des particules élémentaires interagissant exclusivement sous forme de relations économiques basées sur l’intérêt. Comment, alors, ne pas retomber dans les travers du libéralisme, celui d’une société constituée d’individus égoïstes ? C’est du côté de Rousseau que ce courant de pensée va trouver une solution : il faut, tout simplement, « changer l’homme », transformer l’homme naturellement égoïste en « citoyen » n’agissant que pour et par la société (incarnée dans un premier temps par la « dictature » d’un Etat prolétarien, puis, à terme, sans Etat). C’est à un « homme nouveau » qu’il faut parvenir pour résoudre les contradictions du libéralisme à l’intérieur de la conception économiste du marxisme. Seul l’avènement de cet homme nouveau peut permettre de faire fonctionner une société socialiste dans laquelle seront garantis tout à la fois la liberté et l’égalité, mais aussi la fraternité. Dans le communisme, l’individu réintègre une communauté, un groupe, d’abord celui de sa classe sociale puis, après l’avènement du « socialisme réel », une humanité sans classe : le communisme propose d’échapper à l’individualisme du libéralisme par l’intégration de l’homme dans un universel absolu. Tout comme le libéralisme, il est nécessaire de reconnaître là aussi, au-delà de l’échec manifeste de cette utopie constructiviste à l’origine de certaines des pires abominations dont s’est montrée capable notre espèce (Terreur jacobine, génocide vendéen, bolchévisme, stalinisme, Khmers rouges…), l’espoir, l’optimisme d’un tel idéal, la croyance sincère en la possibilité pour l’homme de se construire une société meilleure, assurant le confort matériel, la paix et l’épanouissement intérieur de chacun.
Il nous faut maintenant parler du quatrième et dernier courant de pensée qui tenta de résoudre la difficulté philosophique proposée par le modèle de l’anthropologie libérale. La préoccupation est finalement la même que le marxisme-communisme : comment repenser des liens de solidarité communautaire dans le monde des « particules élémentaires » de l’économie libérale ? Mais là où le communisme ambitionne une communauté universelle, d’autres recherchèrent la reconstruction d’une communauté dans le local, le particulier : l’ethnie, la race, la nation. Contre ce que François Furet appelait une « pathologie de l’universel », ce courant de pensée bientôt appelé « fascisme » incarne une « pathologie du particulier ». Mais l’ambition est la même que dans le bolchévisme-léninisme : retrouver la possibilité d’une solidarité communautaire dans la construction d’un « homme nouveau » purifié de l’égoïsme et de l’individualisme bourgeois du libéralisme ; d’où le caractère authentiquement « social » du fascisme italien puis du « national-socialisme » allemand, leur prétention également à incarner l’esprit millénariste de la révolution française pour mieux la dépasser et l’achever enfin par la suprématie d’un peuple ou d’une race supérieure (Mussolini parlait de « révolution fasciste », et Hitler de « révolution nationale »…), comme les communistes pensèrent l’achever en 1917 par la suprématie de la classe prolétarienne….
Fascisme et antifascisme
Ce qui est important, c’est de bien voir en quoi ce courant de pensée fasciste se rapproche du communisme, et se distingue radicalement de la pensée « contre-révolutionnaire » et réactionnaire que nous avons brièvement présentée plus haut : il ne s’agit pas de « revenir en arrière » mais, comme les communistes, bien que dans une autre voie, de continuer et terminer la révolution de 1789, dans la vision historiciste, rousseauiste et hégélienne, d’un progrès inscrit comme une nécessité dans le chemin même de l’histoire. Cette familiarité de pensée entre fascisme et communisme, qui partagent tous deux la même haine de la bourgeoisie libérale et la même aspiration à reconstruire un lien communautaire en forgeant un « homme nouveau », expliquent les nombreux passages d’un camp à l’autre tout au long de l’histoire, puisqu’il suffit de passer d’une aspiration universelle à une aspiration locale (ce qui fut le chemin d’un Mussolini, de nombreux hommes de gauche français, et ce que fit d’ailleurs Staline lui-même à un moment avec son « socialisme d’un seul pays » ; ou, plus près de nous, un Soral se rapprochant de l’extrême-droite patriote tout en continuant de se revendiquer marxiste…). Cette proximité idéologique profonde entre communisme et fascisme explique les nombreuses similarités dans les réalisations concrètes des régimes politiques qui s’en revendiquaient et que l’on regroupe sous l’étiquette de « totalitarisme » (contrôle total de l’Etat sur la société, élimination à grande échelle des opposants, culte d’un leader messianiste, foi en une loi millénariste de l’Histoire universelle, perversion des faits par l’idéologie…), nouveau type de régime politique dénoncé avec une rare perspicacité par Orwell et théorisé après-guerre, en particulier par Hannah Arendt. Il explique aussi la haine inextinguible que voue chaque camp à l’autre, comme seuls 2 rivaux ambitionnant un même créneau idéologique et millénariste peuvent le faire.
Chacun de ces camps extrémistes et révolutionnaires va dès lors avoir tendance à jeter tous ses opposants dans un même sac. Ainsi, pour les nazis, existe-t-il un vaste complot alliant bolchéviques et capitalistes, dont le dénominateur commun est constitué par le peuple juif, contrôlant dans l’ombre à la fois la grande finance internationale et l’intelligentsia marxiste, et soutenu par les tenants conservateurs et catholiques de l’ « Ancien régime » prussien (impitoyablement éliminés lors de la « Nuit des longs couteaux » sous prétexte de conspiration « contre-révolutionnaire »). Inversement, pour les communistes, les 3 autres camps sont les contre-révolutionnaires « réactionnaires », la bourgeoisie libérale et les révolutionnaires fascistes. D’où ce discours insistant visant à amalgamer dans une même étique « fasciste » ces 3 familles de pensée qui pourtant, comme on l’a vu, n’ont pas grand-chose en commun. Ainsi, considérer les contre-révolutionnaires conservateurs comme « fascistes » : donc les catholiques, les royalistes, les tenants d’un ordre naturel traditionnel (De Gaulle lui-même subit ainsi les accusions grotesques de « fascisme »). D’où, logiquement, le fait de considérer comme forcément « fascistes » les participants à la Manif-pour-tous alors que ceux-ci vont davantage parti d’une pensée nostalgique de l’ordre traditionnel, une réaction conservatrice à la « révolution sociétale » actuelle, et en rien de l’idéologie révolutionnaire fasciste. Mais aussi, considérer la bourgeoisie libérale comme « fasciste », complice intéressée, dans un même « esprit munichois », de la prise de pouvoir des nazis : dans la théorie marxiste, le fascisme est ainsi interprété comme le « stade ultime » du capitalisme, son aboutissement logique. La propagande communiste n’eut ainsi pas assez d’efforts pour faire croire qu’Hitler était une marionnette du grand capital allemand, alors que, si celui-ci le soutint indubitablement lors de son arrivée au pouvoir, l’Etat nazi prit ensuite le contrôle total de l’économie au service d’un projet délirant (guerre totale, extermination des juifs…) qui n’avait plus grand-chose à voir avec les intérêts objectifs de la bourgeoisie capitaliste. De même Staline, au début de la Guerre Froide, voulut-il faire croire que désormais c’était l’ « impérialisme » du capitalisme américain qui incarnait l’esprit fasciste.
C’est de cette stratégie de propagande qu’est née le fantasme d’un « fascisme » global englobant dans un même sac « de droite » les antirévolutionnaires, la bourgeoisie capitaliste et les véritables fascistes ; ce fantasme a ainsi permis à l’extrême-gauche de se donner une justification pour poursuivre son combat révolutionnaire contre le « fascisme », alors même que, à la suite de la défaite sans appel des nazis et des fascistes italiens, le fascisme avait virtuellement cessé d’exister comme menace réelle à la démocratie. L’ « antifascisme » n’est plus désormais qu’une arme rhétorique ne reposant, depuis la Libération, sur aucun élément objectif : elle consiste à désigner comme « fasciste » toute personne s’opposant ou critiquant le projet révolutionnaire communisme. Imposture totale quand on sait que le fascisme, au-delà de quelques groupuscules marginaux, n’existe plus en tant que tel depuis bien longtemps dans les démocraties occidentales (ce que reconnut par exemple Lionel Jospin) ; imposture choquante quand on veut bien peser dans la balance les méfaits du communisme au regard de ceux du nazisme. L’antifascisme est une arme de terreur idéologique, qui permet d’amalgamer anticommunisme et fascisme, et à faire taire toute opposition (dénoncer les méfaits du communisme valant ainsi de se faire traiter de fasciste, comme François Furet, pourtant ancien militant communiste).
On comprend dès lors comment cette grille de lecture antifascisme peut être plaquée aussi rapidement par cette gauche révolutionnaire et ses sympathisants en quête d’un sens à donner à leur vie (sens que permet justement de livrer « clef-en-main » l’idéologie révolutionnaire, de droite comme de gauche d’ailleurs) : un antifasciste est forcément un combattant de la révolution, épris de liberté, de pacifisme et de justice ; un skin identitaire est forcément une brute fasciste et raciste nostalgique d’Hitler ; il est forcément dans le même camp que les « réactionnaires » de la Manif-pour-tous (le jeune Clément n’a-t-il pas lui-même participer à des actions militantes peu républicaines lors des dernières manifestations ?), les libéraux capitalistes de l’UMP, les « fascisants » du Front National. Pire : à l’extrême, le « français moyen » lui-même, peu enclin aux élans révolutionnaires et autres « changements de civilisation », et réduisant l’extrême-gauche à des scores électoraux de plus en plus insignifiants, est lui-même accusé d’avoir un fond fascisant, collaborateur, nostalgique de Pétain, image détestable fabriquée de toute pièce par cette minorité d’intellectuels ou de bobos citadins qui prétend représenter le « peuple » tout en le méprisant violemment. Le fait que l’étiquette de « populiste », qui ne signifie au fond pas autre chose que « démocratique », soit aujourd’hui considéré comme une insulte montre bien cette contradiction extraordinaire d’un parti qui prétend lutter pour le peuple tout en méprisant systématiquement les aspirations populaires qui iraient à l’encontre des préconisations de cette caste détestable des « intellectuels-guide du peuple ». A cet égard, il est symptomatique que le malheureux Clément fut un étudiant à Science-Po, et son meurtrier un prolétaire issu de l’immigration…
Si l’on veut retrouver une forme de paix sociale dans notre pays, il faut absolument sortir de ce schéma mental délirant et agressif, porteur d’une extrême violence. Il est urgent de redécouvrir notre histoire, celle que j’ai tenté brièvement de résumer ci-dessus : d’analyser ce qui se passe non pas avec la lunette binaire de l’antifascisme, mais dans la véritable diversité des forces en présence, les 4 camps décrits précédemment ; et, surtout, de rappeler que 3 des camps s’affrontent sur un même terrain révolutionnaire : l’idéologie libérale (révolution « bourgeoise » de 1789), le communisme (révolution « prolétaire » de 1793 et 1917) et le fascisme (révolutions « nationales » de 1922 et 1933), tandis que la grande majorité du peuple français, probablement, appartient au 4ième camp conservateur, celui qui ne veut pas de révolution du tout…
- Source : Marc Muller via Agoravox