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Vendredi, 29 Nov. 2024

L’ « entropie galopante » conduit naturellement vers le totalitarisme au 21ème siècle

Auteur : Bernard Dugué | Editeur : Stanislas | Jeudi, 23 Mai 2013 - 22h49

Quelques observateurs sourcilleux pointent les dérives sécuritaires dans les pays se revendiquant comme les chantres de la démocratie. C’est le cas des Etats-Unis ou des pays européens. La police y est très présente, comme du reste les systèmes de surveillance. Les caméras vidéo formant un panoptique policier très développé. La Grande-Bretagne est en avance sur la France qui rattrape son retard. Drones et satellites surveillent nos faits et gestes ainsi que nos communications. Dans le domaine alimentaire, la traçabilité est de mise. Les radars réduisent la vitesse. Les gardes du corps protègent les célébrités alors que les grilles assurent la sécurité des résidences cossues et les détecteurs celle des avions. Surveillance sanitaire aussi. Grippe, virus, méningite, légionellose, infections alimentaire, mastectomie préventive, hygiénisme exacerbé…

Inutile d’en rajouter à ce tableau qui, on l’aura compris, trace un portrait des sociétés hyper industrielles après le 20ème siècle. Un portait qui évidemment n’épuise pas la richesse et la subtilité de ces sociétés. Ce sont juste les traits sécuritaires qui sont pointés mais vu leur importance dans le champ social et l’action politique, ces phénomènes humains méritent d’être analysés et surtout compris. En vérité, la compréhension de ces faits se scinde en deux volets.

I, a. Le premier aspect, scientifique, objectif, observable, constatable, montre qu’un processus irréversible est en marche, celui de la production d’entropie. Il s’agit évidemment d’une entropie macroscopique, concevable comme une production intempestive et foisonnante de formes, de phénomènes physiques, d’objets, d’informations, de publicités. L’entropie circule et le phénomène s’est intensifié à plusieurs reprises ; en fait, à chaque innovation industrielle majeure. L’imprimerie, les machines industrielles du 19ème siècle, l’électricité, les transmissions hertziennes et maintenant le numérique, sans oublier la production scientifique et technologique, matériaux, objets, gadgets. En fait, l’entropie n’est pas un phénomène humain mais un processus universel qu’on retrouve à tous les échelons de la nature. L’homme n’a fait que produire une entropie spécifique non naturelle mais culturelle, dans le sens technique du terme. Culture de l’automobile, de l’écran, du smartphone, de l’aménagement domestique. L’entropie naturelle, on la connaît. Elle tire sa source de l’énergie solaire. En découlent les phénomènes climatiques, géophysiques, mais aussi la vie, celle des végétaux et des millions d’espèces animales. Laissons la science de la chaleur et convenons que l’entropie désigne les formes matérielles.

I, b. Un peu de science contemporaine. Les conceptions post-darwiniennes de la vie insistent sur l’importance de l’information et de sa gestion. Information structurante et hiérarchisée qui, à l’échelle moléculaire, serait à l’origine de la vie selon Paul Davies et sa confrère Sara Walker. Si l’on parcourt l’étude roborative de Gennaro Auletta (cognitive biology, Oxford university press, 2011, 850 pages) on comprend le sens de ces nouvelles options en philosophie de la nature. J’en donnerai une recension ultérieurement. Grosso modo, la vie est un jeu qui se déroule avec les informations. Les systèmes vivants produisent de l’entropie, informent le milieu et s’informent par le milieu. Localement, l’entropie est réduite. Globalement, elle augmente. Deux processus sont en œuvre, l’accommodation et l’assimilation. Dans doute faudrait-il inventer des néologismes pour décrire les phénomènes en jeu. Ex-tropie pour informations exprimées, in-tropie pour informations acquises, méta-tropie pour informations calculantes. Laissons au prochain Darwin ou Einstein le soin d’en découdre avec les concepts en se souvenant des explicatio, implicatio et complicatio de Nicolas de Cues.

II. L’entropie vécue subjectivement. L’homme est la seule espèce capable de se penser comme sujet abstrait. L’entropie se joue et résout avec l’instinct chez les animaux mais devient un enjeu et un problème pour les sociétés modernes. L’homme produit des informations, des objets mais en retour, il subit les faits sociaux, les phénomènes naturels ainsi qu’industriels. L’homme réagit face à l’entropie en la considérant souvent comme une menace qui est parfois réelle mais bien souvent culturellement élaborée. L’homme désire s’inscrire dans un univers normatif, réglé et contrôlé. L’entropie lui apparaît comme une menace. Signe édifiant des prodromes de « l’affectivité entropique », la distinction scolaire entre animaux nuisibles et utiles. En fait, il existe des réactions légitimes face à l’entropie. Lorsqu’il faut gérer les déchets, ne pas jeter de saloperies sur la voie publique, maîtriser les hordes de supporter. L’entropie est néanmoins appréciée différemment, sur le mode affectif ou culturel. D’aucuns ne supportent pas le vacarme des gosses dans une cour d’école ou le bruit d’un concert près de chez eux ou encore le mauvais temps. Au niveau politique, les excès des lois mémorielles relève d’un contrôle défensif face à l’entropie des discours dont on craint qu’ils puissent l’ordre public. Les associations antiracistes pèchent souvent par un excès en se comportant comme une milice surveillant l’entropie des propos. Chaque citoyen doit maîtriser l’entropie de ses propos pour ne pas créer de désordre public.

L’entropie est vécue sous divers modes, émotionnel, rationnel, culturel mais aussi affectif. Les objets, en tant qu’ils deviennent formes du désir, créent une agitation dans le psychisme des gens. Il suffit de voir les réactions quand sort le nouveau smartphone ou bien au moment des soldes ou encore lors de la braderie chez Virgin vécue par les employés comme une scène de chaos et vandalisme. Regardons en Chine que nous verrons les mêmes phénomènes. L’entropie affecte le genre humain dans son universalité. Les sociétés veulent un ordre social, physique et mécanique. Cet ordre est utile ou souvent artificiel. L’entropie est ce qui défait cet ordre, disloquant les objets et les psychismes.

Les panneaux routiers sont bien évidemment utiles. Ils permettent d’organiser la circulation et de faire en sorte que l’usage des véhicules ne devienne pas un jeu d’auto-tamponneuse à haut risque de fragmentation, en carrosseries et en hommes. Il est légitime que la société élabore des dispositifs pour limiter les désagrégations, qu’elles soient physiques ou morales. Néanmoins, on voit se dessiner nombre d’excès et de réactions exacerbées résultant d’une surestimation des risques. Le principe de précaution en étant la traduction constitutionnelle. Par exemple, les prestations du comique Dieudonné parfois interdites sous prétexte de risque de trouble à l’ordre public. Ou alors, dans un tout autre domaine, la fermeture des parcs municipaux lorsqu’un coup de vent est annoncé. Je vous traduis. Il est interdit, politiquement parlant, de mourir écrasé sous un arbre dans un parc mais lorsque c’est dans son jardin ou une forêt, alors c’est autre chose. L’ordre politique est donc le garant d’un contrôle de l’entropie, ce qui pour Foucault représenterait une déclinaison (assez comique du reste) de la biopolitique. Les médias de masse sont sensibles à l’entropie, qu’elle soit physique quand une cabine se décroche dans une station de ski ou morale, quand un Cahuzac entretient le suspense et joue les trublions face à l’ordre moral instauré par les gardiens de la médiacratie.

L’entropie est parfois vécue comme incertitude. Ce fut le cas pour le virus H1N1. Il a été perçu de manière exacerbée parce qu’il était nouveau. Toute nouveauté se comporte comme un phénomène entropique. Celle-ci qui assimilée lorsque cette nouveauté est normée, comme le nouveau disque de Daft Punk ou la box d’une célèbre marque ; mais elle est redouté comme les virus lorsqu’ils sont nouveaux et donc imprévisibles, ou bien les morceaux de viande chevaline lorsqu’ils sont dans du bœuf ou encore les anticipations sur les phénomènes climatiques. On se situe bien dans une entropie subjective, vécue comme un manque d’information dans une situation susceptible d’engendrer une affection, une altération du cours normé des choses. Ne serait-ce que cette menace sur des lycées annoncée dans un cybercafé par un « déséquilibré ». Entropie maîtrisée signifie parfois équilibre, dans les normes et les comportements. Un acte insensé est alors forcément perpétré par un déséquilibré. L’entropie, faute d’être maîtrisée, est nommée. D’autres nomment cette entropie l’impur. Vieux réflexe des temps médiévaux.

Le monde hyper moderne se trouve donc face à un emballement de l’entropie due aux industries et communications avec en retour des réactions entropiques au sein des populations, des craintes diverses et au final, une politique qui, avec l’appui et le souhait des populations, se conçoit comme une politique du contrôle entropique. Avec parfois des propositions irrationnelles pour ne pas dire psychopathes. Je pense à l’écosocialisme qui croit que l’usine à gaz écotechnique constitue une réponse adaptée à la crise contemporaine. Comme si en limitant le céO2, en construisant des écoquartiers et de la biodiversité on pouvait résorber la pauvreté, le chômage et le chaos social. La politique du contrôle entropique, si elle s’intensifie, représentera le totalitarisme du 21ème siècle. Très différent du soviétisme et du nazisme car les populations ne sont pas contraintes mais au contraire, en appellent à cette politique du contrôle entropique. Dont l’un des traits emblématiques est l’usage des drones pour le contrôle militarisé de l’espace ou de la traçabilité pour la sécurité sanitaire. La lutte contre l’entropie prend parfois des airs pathétiques, avec ses seniors à la capillarité refaite ou recolorée pour effacer les rides du temps.

Le nouveau totalitarisme a pour ressort le contrôle de l’entropie et donc se conçoit dans un cadre matérialiste, biologique et naturaliste du point de vue ontologique, avec l’appui des technologies. L’autre option politique repose sur l’esprit, la liberté, la responsabilité, l’éveil, l’ouverture, l’art, bref, une possibilité sitôt enterré alors même qu’elle ne fut qu’esquissée : la politique de civilisation. Il est donc presque certain qu’au rythme des progressions entropiques, les sociétés renforcent leurs options de contrôle politique. Plus l’entropie augmente, plus la réponse se veut intense. Impossible d’échapper à ce qui ressemble à une addiction, voire une obsession de la maîtrise entropique alors que le système du profit se nourrit de l’entropie en accentuant par ailleurs les craintes et les désirs, sources majeures de l’entropisation humaine du monde. Un gène qui fait désordre et donc « entropie » et l’on ampute madame de ses deux seins. En fait, c’est l’humanité qui est amputée de son dessein.

Le développement de la technique accompagne donc la loi naturelle du monde. Les populations sont sous surveillance, sous le contrôle des experts, groupes d’intervention policière ou armée, surveillance cybernétique, experts de la médecine, experts des cellules psychologiques, avec la propagande du système de diffusion entropique, autrement dit les médias de masse et en haut lieu, les experts supérieurs, financiers et gouvernementaux, qui organisent et supervisent les experts spécialisés sur le terrain. Et la politique qui dirige cet ensemble qui parfois lui échappe. Les gens s’interrogent. Droite, centre ou gauche ? Non mais, allo quoi, vous rigolez !

Cela étant, quelques contre-pouvoirs se dessinent. Les anarchistes du septième jour sont sur le pont. Si Dieu existe, alors l’homme peut choisir la transcendante liberté et le règne de l’entropie sera achevé car transcendé. Mais à l’inverse, l’entropie peut être contrôlée par les techniques de la singularité et cette fausse transcendance sera celle du transhumanisme. Après tout, le monde avec ses humains peut très bien se refermer comme un super organisme. Chaque individu peut s’y sentir bien et en sécurité, comme peut l’être une cellule du corps humain. Le choix entre le contrôle entropique et un divin destin de liberté, voilà la seule alternative au 21ème siècle.

Considérations annexes pouvant être développées dans un essai sur l’entropie

Contrôler complètement l’entropie est hors de portée en vérité. Observons les faits, ces deux suicides, l’un dans une école, l’autre dans la cathédrale de Paris. Il y aura toujours de l’entropie ce qui pérennise le système et son idéologie du contrôle entropique qui dissout les oppositions politiques et la discussion sur les modèles de société.

Le contrôle du désordre entropique est assez ancien, déjà présent aux débuts de la Modernité, avec la chasse aux sorcières entre 1580 et 1630. Une pratique à distinguer de celle en vigueur lors de l’inquisition médiévale. Et à mettre en relation avec l’imprimerie et la diffusion des manuels adéquats pour appliquer cette pratique. Le contrôle entropique reposait déjà sur des informations gérées et diffusée.

Dans le chapitre XVII du Prince de Machiavel (comment les princes doivent tenir leur parole), le contrôle de la parole conseillé aux princes anticipe la société de l’information gérée par les pouvoirs à l’ère de la communication. Il y est déjà question de simulation et dissimulation.

Le 20ème siècle a vu s’actualiser ce simulacre du pouvoir. Quelques entorses néanmoins, Dominique Voynet et le naufrage de l’Erika, Jean-François Mattéi en pull Lacoste pendant la canicule. Tout est rentré dans l’ordre (médiatique). Les ministres se doivent d’être concernés. Vincent Peillon et Manuel Valls présents sur le lieu des deux suicides entropiques. Les ministres doivent simuler le fait qu’ils sont concernés par les événements fâcheux. Et ils réussissent assez bien. Un ministre se doit d’être un bon comédien, même s’il ne monte pas les marches à Cannes.

Contrairement à l’idée reçue, l’Internet n’est pas uniquement le lieu de la libre expression. Il est aussi un outil permettant aux citoyens de participer au contrôle entropique via les réseaux sociaux. On le voit à travers quelques faits d’actualités.

L’ère de la colère analysée par Peter Sloterdijk offre un complément de vue utile pour saisir cette société de l’entropie et du désordre. La colère n’est plus encadrée par le politique et se déclenche comme réplique entropique face à l’évolution du milieu qui engendre des frustrations. Preuve que le contrôle entropique par le politique ne se fera pas dans la sérénité. Chassez le naturel… etc…

Machiavel est dépassé sur quelques points très contemporains. Lui qui pensait que le prince devait pratiquer la bête et l’homme. La force face à la bête et la loi face à l’homme. L’information contemporaine, qui relève de la parole et non de la force, s’adresse aussi à la bête. Preuve que le biologique doit être pensé avec l’information. Et cela, c’est assez nouveau.


- Source : Bernard Dugué

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